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Le cinéma muet (1895-1927)

La soumission

La soumission dans le cinéma muet est un thème omniprésent, exploré à travers des dynamiques de pouvoir, des situations d’oppression, et des récits de lutte intérieure. En raison de l’absence de dialogue, la soumission était souvent exprimée visuellement par des gestes, des postures, des cadrages et des costumes. Qu’elle soit physique, psychologique ou symbolique, la soumission incarnait des tensions entre les personnages ou avec des forces extérieures.

La soumission féminine

C’est le contrepoint naturel de la domination masculine. Les femmes dans le cinéma muet sont souvent dépeintes comme des victimes des normes sociales, de la violence masculine ou des circonstances tragiques, et se caractérisent visuellement par des attitudes prostrées, des regards baissés, des vêtements déchirés ou restrictifs.

Les exemples sont nombreux, parmi les plus marquants on peut citer de nombreux personnages interprétés par Lillian Gish dans les films de Griffith, et notamment Lucy dans Le Lys Brisé (1919), une jeune femme brutalement soumise à la violence de son père, exprimant sa souffrance par des gestes désespérés et un visage marqué par la peur.

Dans Forfaiture (1915) de Cecil B. DeMille, l’héroïne devient redevable à un homme dominateur, illustrant une soumission psychologique et sociale dans un contexte de manipulation.

Dans les scènes de séduction romantique ou de passion, la femme apparaît souvent implicitement comme soumise à des dynamiques de pouvoir, alanguie, éventuellement captive, figée dans des postures de désir et de vulnérabilité. De bons exemples sont les « victimes » de Valentino, Agnes Ayres et Vilma Banky, entre peur et désir dans Le Cheik et Le Fils du Cheik.

La soumission masculine

Les hommes aussi peuvent bien sûr être soumis. Dans le cinéma muet ce sont souvent des figures tragiques, subissant des humiliations physiques ou émotionnelles qui révèlent leur fragilité, caractérisée visuellement par un corps affaissé, des regards implorants, des gestes de désespoir.

Dans He Who Gets Slapped (1924), Lon Chaney incarne un homme humilié publiquement et réduit à un rôle de clown, exprimant une soumission émotionnelle et sociale déchirante. Mais il transcende cette humiliation en en faisant la base de son numéro, qui remporte un immense succès : les gifles qu’il reçoit symbolisent sa soumission à la société et à son propre désespoir, comme une forme de pénitence personnelle.Il choisit donc la douleur et l’humiliation comme mode d’expression de son traumatisme. Dans une dynamique proche du masochisme, il transforme sa souffrance personnelle en performance publique, où il est à la fois victime et maître de sa propre humiliation.

Autre personnage de cirque incarné par Lon Chaney : dans L’Inconnu (1927) de Tod Browning, il incarne un personnage physiquement mutilé qui se soumet à ses propres obsessions et aux désirs d’une femme inaccessible.

Dans L’Homme qui Rit (1928), Gwynplaine (interprété par Conrad Veidt), marqué par une mutilation faciale, est physiquement et émotionnellement soumis à une société qui le rejette malgré sa haute naissance.

La soumission aux forces surnaturelles

Les récits fantastiques du cinéma muet exploitent souvent la soumission à des forces occultes ou mystérieuses, où les personnages sont captifs de pouvoirs supérieurs. Les caractéristiques visuelles sont alors des expressions d’effroi, des corps figés ou enchaînés, des interactions avec des figures menaçantes.

Des exemples marquants se trouvent dans le cinéma expressionniste, en particulier de Murnau. Dans Nosferatu (1922), Ellen se sacrifie en se soumettant à l’emprise du comte Orlok pour sauver son village, une soumission volontaire empreinte de tragédie. Dans Faust (1926), Faust se soumet à Méphistophélès dans un pacte avec le Diable, illustrant la perte de contrôle face aux désirs humains et aux forces démoniaques.

Cette soumission peut être volontaire, sacrificielle et rédemptrice, elle est un acte héroïque ou spirituel, où le personnage s’abandonne pour une cause supérieure ou un être aimé, et peut s’exprimer par un corps offert, des gestes de renoncement, des éclairages accentuant une aura de sainteté.

Un exemple marquant est le personnage historique de Jeanne d’Arc, dans Joan the Woman (1915) de Cecil B. DeMille, où Jeanne incarne une soumission noble et héroïque, et surtout dans La Passion de Jeanne d’Arc (1928) de Dreyer, où elle accepte son destin avec résignation, exprimant une soumission à la fois spirituelle et physique face à ses juges. Le film explore la douleur mentale et physique de Jeanne, les gros plans sur ses expressions de souffrance, bien qu’introspectifs, possèdent une intensité troublante qui peut être interprétée dans une perspective sadomasochiste.

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