a. Le cinéma européen : entre expérimentation et provocation
Dans les années 1960 et 1970, l’Europe devient un terreau fertile pour l’exploration du BDSM au cinéma, souvent dans un cadre intellectuel ou artistique.
La France
Le cinéma français entre 1965 et 1980 connaît une transformation notable, marquée par la libération sexuelle, la fin de la censure stricte, et un intérêt croissant pour les thématiques érotiques et transgressives, y compris celles liées au BDSM.
Les années 1960-70 voient une évolution majeure des mœurs, avec la montée des mouvements féministes, la légalisation de la contraception (1967) et de l’avortement (1975). Ces changements permettent une représentation plus ouverte de la sexualité dans les arts et le
En 1975, la suppression de la Commission de censure cinématographique ouvre la voie à une plus grande liberté de création, permettant aux cinéastes de représenter des thématiques autrefois taboues, comme le BDSM.
Le cinéma français s’inspire alors des films italiens et américains explorant la sexualité, tout en y ajoutant une touche spécifique de romantisme ou d’ironie. Quelques œuvres majeures marquent cette époque.
Dans Belle de Jour (1967) d’après le roman de Joseph Kessel, l’espagnol Luis Buñuel explore la vie secrète d’une femme bourgeoise qui devient prostituée l’après-midi pour assouvir ses fantasmes. Les scènes où Séverine (Catherine Deneuve) imagine des situations de domination, notamment des coups de fouet ou des humiliations, abordent le BDSM de manière subtile et psychologique. Le film pose la question des désirs refoulés et du rôle des fantasmes dans les relations humaines.
Adapté du roman du même nom de Pauline Réage, Histoire d’O (1975) de Just Jaeckin est l’un des films les plus explicites de l’époque sur le thème du BDSM. Il suit le parcours d’O, une femme qui se soumet à des rituels de domination dans un château dédié au plaisir.
Les scènes de bondage, de fouet et de servitude volontaire sont des représentations directes du BDSM, bien que stylisées et esthétisées. Le film a été controversé, mais il reste un jalon important dans l’histoire du cinéma érotique français.
Emmanuelle (1974) du même Just Jaeckin, bien que moins directement lié au BDSM, explore des formes de soumission et d’initiation sexuelle dans un contexte exotique et permissif. Le film popularise le cinéma érotique français à l’international, ouvrant la voie à une exploration plus large des thématiques sexuelles, y compris celles liées au pouvoir et à la domination.
Maîtresse (1976) de Barbet Schroeder se distingue par son réalisme et son exploration directe du BDSM dans un cadre contemporain. Il raconte la relation entre un cambrioleur (Gérard Depardieu) et une dominatrice professionnelle (Bulle Ogier). Le film présente des scènes authentiques de pratiques BDSM, filmées avec des acteurs non professionnels de ce milieu, et explore la frontière entre le désir, le commerce et les dynamiques de pouvoir dans les relations intimes.
Le Dernier Tango à Paris (1972) de Bertolucci met en scène une relation sexuelle intense et destructrice entre Paul (Marlon Brando) et Jeanne (Maria Schneider). Bien que le BDSM ne soit pas explicitement représenté, la dynamique de pouvoir entre les deux personnages rappelle les relations de domination et soumission.
Paul impose ses règles à Jeanne, notamment en insistant sur l’anonymat et en rejetant toute forme d’engagement émotionnel. Cette prise de contrôle sur Jeanne, tant physique que psychologique, est une forme de domination. La sexualité devient un moyen pour les personnages de se libérer de leurs traumatismes, mais aussi de se perdre dans une spirale de douleur et de souffrance.
De nombreux films, notamment ceux de Buñuel ou de Schroeder, explorent le contraste entre les apparences respectables de la bourgeoisie et leurs désirs cachés de soumission ou de transgression. Le BDSM devient une métaphore des tensions entre conformité sociale et libération individuelle.
Le cinéma français joue alors un rôle pionnier dans la représentation de l’érotisme et du BDSM, mêlant provocation, esthétique et réflexion sociétale. Des œuvres comme Histoire d’O, Maîtresse ou Belle de Jour continuent de fasciner pour leur exploration des désirs humains et des dynamiques de pouvoir. Cette période a marqué une étape importante dans la manière dont le cinéma mondial aborde la sexualité, en repoussant les limites de ce qui peut être montré et discuté à l’écran.
La Nouvelle Vague
La Nouvelle Vague française se distingue par son rejet des conventions du cinéma classique. Les réalisateurs comme François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, ou Agnès Varda explorent des thématiques psychologiques et sociales nouvelles, dont les rapports de pouvoir dans les relations humaines. Bien que le BDSM ne soit pas représenté de manière explicite, les dynamiques de contrôle, de manipulation et d’aliénation s’expriment à travers le langage cinématographique, notamment dans certains films.
Dans Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard, la relation entre Camille (Brigitte Bardot) et Paul (Michel Piccoli) est marquée par un déséquilibre de pouvoir émotionnel. Paul néglige Camille, la manipule et l’expose à la domination symbolique d’un producteur (interprété par Jack Palance). Les dialogues et les jeux de regard mettent en scène un contrôle implicite. Camille devient un objet de désir et de transaction, dans une forme de soumission psychologique.
Les Biches (1968) de Claude Chabrol met en scène une relation complexe entre deux femmes, Frédérique (Stéphane Audran), une riche bourgeoise, et Why (Jacqueline Sassard), une jeune artiste. Frédérique exerce une domination subtile sur Why, à la fois émotionnelle et matérielle. Le triangle amoureux qui s’installe, mêlant manipulation, jalousie et contrôle, illustre une forme de rapport de pouvoir psychologique.
Dans Jules et Jim (1962) de François Truffaut, Catherine (Jeanne Moreau) est un personnage libre et imprévisible qui manipule Jules et Jim dans une dynamique de séduction et de contrôle. Elle incarne une figure de domination émotionnelle, utilisant son pouvoir de séduction pour maintenir les deux hommes sous son influence. La notion de soumission volontaire est présente dans la relation que les deux hommes entretiennent avec elle.
La Collectionneuse (1967) d’Éric Rohmer met en scène une jeune femme, Haydée (Haydée Politoff), qui exerce un pouvoir implicite sur les hommes qui gravitent autour d’elle. Elle rejette leurs attentes tout en exploitant leur désir, incarnant une forme de domination passive.
Enfin dans Cléo de 5 à 7 (1962) d’Agnès Varda, le personnage de Cléo (Corinne Marchand) subit une pression sociétale qui peut être interprétée comme une forme de soumission symbolique. Elle est constamment observée, objectifiée et jugée, notamment dans les premières scènes où elle pose pour un photographe, une situation évoquant des rapports de domination.
Les relations dans les films de la Nouvelle Vague sont souvent marquées par une forme de manipulation psychologique. Le contrôle exercé par un personnage sur un autre, qu’il soit subtil ou explicite, reflète des dynamiques de pouvoir qui rappellent celles du BDSM. Ce contrôle est souvent associé à des hommes sur des femmes, mais certaines héroïnes, comme Catherine (Jules et Jim) ou Camille (Le Mépris), prennent également le dessus.
Les héroïnes de la Nouvelle Vague, souvent filmées avec un mélange de fascination et de distanciation, deviennent des objets de désir. Cette objectification, bien que critique par moments, évoque les esthétiques fétichistes du BDSM. Les cadrages, l’éclairage et la mise en scène mettent parfois en avant des éléments symboliques : vêtements, accessoires ou postures qui suggèrent une dynamique érotique.
Les films de la Nouvelle Vague explorent des relations qui défient les conventions sociales : triangles amoureux, relations ouvertes, et rapports de domination implicite. Cette volonté de transgression, bien qu’éloignée des pratiques BDSM explicites, en partage l’esprit.
Les personnages, souvent jeunes et en quête de liberté, oscillent entre désir de contrôle et soumission à des forces externes (société, amours toxiques, aspirations personnelles). Cette tension entre aliénation et consentement résonne avec les dynamiques du BDSM.
La Nouvelle Vague privilégie une esthétique réaliste et naturaliste : lumière naturelle, cadrages improvisés, acteurs non-professionnels. Toutefois, certains réalisateurs intègrent des éléments de sensualité et de fétichisme subtils, comme dans Le Mépris (les gros plans sur les parties du corps de Brigitte Bardot) ou Les Biches (les costumes et accessoires de Frédérique). La sensualité est souvent suggérée plutôt que montrée, ce qui amplifie les tensions érotiques.
Le BDSM dans la Nouvelle Vague est avant tout métaphorique : il se manifeste dans les rapports de pouvoir, les jeux de séduction et la manipulation psychologique entre les personnages. Les cinéastes de cette période, en explorant les relations humaines avec un regard nouveau et subversif, ouvrent la voie à des représentations plus explicites de la domination et de la soumission dans le cinéma français des décennies suivantes.
En marge de la Nouvelle Vague, Alain Robbe-Grillet occupe une place singulière dans le paysage du cinéma et de la littérature française de la seconde moitié du XXe siècle. Écrivain phare du Nouveau Roman et cinéaste provocateur, il a souvent exploré des thématiques transgressives, notamment des motifs liés à l’érotisme et au BDSM. Robbe-Grillet s’intéresse davantage à des thèmes obsessionnels, souvent sombres et empreints de perversions. Son cinéma s’inscrit dans une veine plus baroque, flirtant avec l’esthétique du fétichisme et les pulsions morbides.
Robbe-Grillet met souvent en scène des éléments visuels associés au BDSM : corsets, cordes, masques, fouets. Ces objets ne sont pas simplement décoratifs mais participent à une construction symbolique où l’érotisme et la domination deviennent des langages à part entière.
Dans Trans-Europ-Express (1966), le scénario mêle intrigue criminelle et scènes de bondage. Ces éléments s’intègrent dans une structure méta-narrative qui brouille les frontières entre réalité et fantasme.
Dans Glissements progressifs du plaisir (1974), l’érotisme est omniprésent, et les scènes de soumission et de contrainte deviennent des tableaux visuels où la sexualité est esthétisée et théâtralisée.
La domination et la soumission deviennent des métaphores des relations humaines, où désir et contrôle s’entrelacent de manière inextricable. Dans L’Immortelle (1963), la fascination obsessionnelle du personnage principal pour une femme insaisissable illustre cette quête de domination émotionnelle. La femme est à la fois objet de désir et sujet insaisissable, un thème récurrent dans ses œuvres.
Les femmes dans l’œuvre de Robbe-Grillet oscillent entre deux pôles : celui de l’objet fétichisé (souvent soumis à des rituels de contrôle, de contrainte ou d’adoration) et celui du sujet insaisissable, qui échappe toujours à la compréhension masculine. Cette ambivalence reflète une tension constante entre la quête de possession et l’impossibilité de la satisfaire pleinement.
L’Italie
L’Italie des années 1960-1970 voit un relâchement progressif des contraintes morales imposées par la censure, sous l’effet de la libéralisation sociale et culturelle. Le cinéma devient un terrain d’expérimentation pour des réalisateurs qui jouent avec l’érotisme et les thématiques transgressives.
La relation complexe entre l’Église catholique et les créateurs italiens donne naissance à des œuvres qui défient les interdits religieux, notamment dans leur représentation du désir, du péché et de la culpabilité.
L’érotisme et les éléments BDSM s’infiltrent dans divers genres italiens : le giallo, les drames historiques, et les films d’auteur provocateurs.
Les gants de cuir noir portés par les assassins, les armes blanches utilisées pour tuer ou menacer les victimes, l’utilisation de couleurs vives et saturées et de contrastes entre ombre et lumière, rappellent une imagerie fétichiste qui marquera profondément le genre.
Le giallo explore fréquemment les rapports de domination et de soumission, tant sur le plan physique que psychologique. Les scènes de meurtre sont fortement sexualisées. Les victimes, principalement des femmes, sont souvent déshabillées, vulnérables, ou placées dans des positions qui évoquent une forme de soumission. Ce traitement trouble le spectateur en superposant peur et excitation.
Les aspects tabous et transgressifs de la sexualité sont explorés, ce qui inclut des dynamiques associées au BDSM. Les personnages féminins sont souvent des figures de désir (mannequins, prostituées, femmes adultères) qui brisent les normes patriarcales. Leur sexualité affirmée les place toutefois dans des situations de danger, comme si cette libération devait être punie. À l’inverse, certaines figures féminines incarnent des dominatrices, maîtrisant leur sexualité et exerçant une forme de contrôle sur les hommes (même si ce pouvoir est souvent éphémère et se retourne contre elles).
Les tueurs ont souvent des motivations psychologiques complexes, où désir et violence s’entremêlent. Les relations entre les personnages principaux impliquent parfois des jeux de pouvoir évoquant le sadomasochisme.
Les drames historiques et politiques
Le cinéma italien utilise les récits historiques pour aborder des thèmes BDSM en les plaçant dans un contexte de critique sociale ou politique.
Dans Salo ou les 120 journées de Sodome (1975), Pasolini illustre le pouvoir absolu sous sa forme la plus cruelle, en transposant l’œuvre du marquis de Sade dans le contexte du fascisme italien. Les jeunes captifs y sont soumis à des humiliations et à des tortures qui symbolisent l’assujettissement total des corps et des esprits par une élite corrompue.
Les scènes de domination sexuelle et d’humiliation symbolisent la déshumanisation imposée par les régimes totalitaires. La sexualité y est utilisée comme une arme pour exercer un contrôle absolu.
De même, Salon Kitty (1976) de Tinto Brass, inspiré d’événements réels sous le régime nazi, mêle érotisme, fétichisme et critique politique, explorant la manipulation psychologique et les rapports de pouvoir dans un bordel utilisé à des fins de renseignement.
Caligula (1979), également de Tinto Brass, est un film historique ambitieux sur la Rome décadente. Même s’il ne parle pas directement de BDSM, il en reprend des motifs omniprésents : scènes de flagellation, d’humiliation et de soumission forcée dans les orgies. Le sexe est un instrument de domination et de punition, notamment dans les scènes de torture. Des rapports de pouvoir basés sur l’asservissement sexuel, où Caligula impose son contrôle par le plaisir et la souffrance.
Dans Caligula, le sexe n’est jamais vraiment consenti : il est un instrument de pouvoir, un jeu de domination totale, où la destruction est inévitable. La scène la plus marquante est sans doute celle de l’exécution du couple sous une machine à décapiter, après une mise en scène sadique et théâtrale.
L’érotisme d’auteur
Des réalisateurs comme Liliana Cavani ou Bernardo Bertolucci, explorent des relations de pouvoir teintées d’érotisme et de BDSM dans des contextes contemporains ou psychologiques.
Portier de nuit (1974) de Liliana Cavani est une pierre angulaire dans la représentation de la dynamique maître/esclave, mêlant érotisme, culpabilité et pouvoir, tout en ancrant ses thématiques dans les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale.
Lucia, ancienne déportée juive, et Max, ancien officier nazi, entretiennent une relation où la douleur, le plaisir et le traumatisme se mêlent. Le sadomasochisme est utilisé pour représenter les traumatismes du passé et leur persistance dans le présent. Le film explore comment les systèmes oppressifs comme le nazisme s’infiltrent dans les relations personnelles et sexuelles.
Le BDSM devient une métaphore de l’asservissement volontaire, où les personnages semblent simultanément condamnés et attirés par leurs rôles respectifs. L’esthétique de Portier de nuit est imprégnée de fétichisme : costumes militaires, uniformes, éclairages sombres et cadrages qui fétichisent les corps, particulièrement celui de Lucia. La célèbre scène où elle chante seins nus et en uniforme nazi illustre ce mélange de séduction et de domination, en jouant sur des codes visuels explicites.
La sexualité est aussi un outil central dans l’exploration des rapports de pouvoir chez Pasolini, souvent mêlée à la violence, au désir et à la transgression. Il en donne cependant une image beaucoup plus optimiste dans sa trilogie de la vie. Dans Le Décaméron (1971), Les Contes de Canterbury (1972) et Les Mille et Une Nuits (1974), il montre comment le corps devient un terrain de lutte, d’échange ou de soumission. Les personnages utilisent ou subissent leur sexualité dans des contextes où le désir et le pouvoir s’entrelacent.
L’Allemagne
Après les bouleversements sociaux des années 1960, l’Allemagne de l’Ouest connaît une libéralisation des normes sexuelles. Le cinéma, comme ailleurs en Europe, reflète ce climat de permissivité croissante. La relation complexe de l’Allemagne avec son passé influe sur la manière dont le pouvoir, la violence et l’érotisme sont représentés. Ces thèmes, souvent abordés de manière allégorique, nourrissent des œuvres où les rapports de domination et de soumission prennent un poids symbolique.
Si le cinéma ouest-allemand s’ouvre à l’érotisme explicite et à des expérimentations avant-gardistes, l’Allemagne de l’Est reste beaucoup plus prudente sur ces questions, bien que certains films explorent subtilement la sexualité dans des cadres allusifs.
Le cinéma ouest-allemand produit de nombreux films d’exploitation érotiques dans les années 1960 et 1970. Bien que souvent considérés comme de la série B, ces films intègrent parfois des éléments BDSM dans des intrigues où l’érotisme et le danger s’entrelacent.
Les films de la série Schulmädchen-Report (Les Lycéennes passent aux aveux, 1970-1980), pseudo-documentaires sur la sexualité des jeunes femmes, incluent des scènes où la domination et la soumission sont explorées dans un contexte voyeuriste et sensationnaliste.
Des réalisateurs allemands s’inspirent des récits libertins et gothiques pour créer des films aux atmosphères sombres et parfois fétichistes. Dorian Gray im Spiegel der Boulevardpresse (1970) de Massimo Dallamano (coproduction italo-allemande) est un exemple de récit où le plaisir et la perversion se mêlent.
Le cinéaste Jess Franco, même s’il est d’origine espagnole, travaille avec des producteurs allemands pour des films tels que Vampyros Lesbos (1971). Ces films mêlent érotisme, sadomasochisme, et une esthétique psychédélique.
Le Nouveau Cinéma Allemand, mouvement porté par des figures comme Rainer Werner Fassbinder, Werner Herzog ou Volker Schlöndorff, aborde également l’érotisme, mais avec une sensibilité plus subtile et intellectuelle. Certains de ces films explorent des dynamiques de pouvoir et de domination proches du BDSM, sans nécessairement s’y limiter.
C’est le cas en particulier de Fassbinder. Les Larmes amères de Petra von Kant (1972) est une œuvre centrale pour comprendre le rapport entre domination, érotisme et pouvoir. Le film explore une relation sadomasochiste psychologique entre Petra, une créatrice de mode, et sa secrétaire Marlene, dans un huis clos chargé de tension émotionnelle et sexuelle.
Querelle (1982) adapte Jean Genet et plonge dans un univers où l’érotisme masculin est imbriqué avec des thématiques de soumission et de violence.
Certains cinéastes expérimentaux allemands des années 1970, comme Rosa von Praunheim ou Ulrike Ottinger, explorent la sexualité dans des formats non conventionnels. Le BDSM, bien qu’évoqué de manière métaphorique ou stylisée, s’intègre dans des réflexions plus larges sur le genre, le pouvoir et la marginalité.
Dans Madame X: An Absolute Ruler (1977), Ottinger dépeint une figure féminine autoritaire et fascinante, entourée d’une atmosphère dominatrice. Ce film queer et avant-gardiste joue avec les codes du pouvoir et de la soumission.
La Suède
Le cinéma suédois se distingue par son audace en matière d’érotisme et son approche franche des relations humaines, influencée par le mouvement de libération sexuelle des années 1960 et 1970. La Suède, pionnière en matière de droits sexuels et de représentation de la nudité au cinéma, ouvre la voie à une exploration de la sexualité sous toutes ses formes, y compris le BDSM. La permissivité culturelle permet de représenter des pratiques autrefois taboues dans un cadre qui mêle souvent art et érotisme.
Le cinéma du plus grand metteur en scène suédois de l’époque, Ingmar Bergman, n’explore pas explicitement le BDSM comme thématique principale, mais ses œuvres contiennent des éléments qui peuvent être interprétés à travers ce prisme. Bergman est connu pour ses explorations profondes des relations humaines, des dynamiques de pouvoir, de la douleur émotionnelle et physique, et des tensions psychologiques qui sous-tendent l’amour et le désir. Ces thématiques touchent parfois indirectement à des aspects liés à la domination, à la soumission et au plaisir mêlé à la souffrance.
Les films de Bergman mettent souvent en scène des personnages engagés dans des luttes de pouvoir psychologiques ou émotionnelles. Ces tensions peuvent refléter des dynamiques de domination et de soumission, bien qu’elles soient plus souvent métaphoriques ou psychologiques que physiques.
Par exemple dans Persona (1966), la relation entre l’actrice Elisabet et l’infirmière Alma évolue vers une forme de domination psychologique où les frontières entre les deux femmes s’effacent, créant une dynamique intense de pouvoir et de dépendance. Le dialogue entre plaisir et douleur psychologique y est central.
Dans certains films, les personnages explorent la culpabilité et la punition à travers des relations sexuelles complexes. Ces motifs peuvent évoquer les idées de discipline et de soumission. Dans Le Silence (1963), les interactions entre Anna et Johan, ainsi que l’atmosphère oppressante de l’hôtel, créent un climat chargé d’érotisme ambigu et de violence émotionnelle latente.
Les personnages de Bergman sont souvent en conflit entre leurs désirs corporels et leurs aspirations spirituelles ou morales. Cette dualité reflète parfois des scénarios où l’abandon ou la maîtrise de soi deviennent centraux, des notions qui peuvent se connecter au BDSM sur le plan symbolique. Dans Cris et Chuchotements (1972), la douleur physique et émotionnelle des personnages féminins se manifeste dans des interactions où la souffrance devient un mode de communication et d’intimité. Les scènes de tension et d’abandon, en particulier entre Agnes et les autres personnages, peuvent être vues comme une exploration indirecte de la soumission et du besoin de réconfort après la douleur.
Les films de Bergman offrent une réflexion profonde sur la nature humaine, où plaisir et douleur, érotisme et violence s’entrelacent souvent dans des récits intensément psychologiques.
En parallèle des productions artistiques, le cinéma suédois a également produit des films d’exploitation (souvent appelés « films suédois » sur les marchés internationaux), où l’érotisme et le BDSM étaient parfois abordés de manière sensationnaliste.
Crime à Froid (1973) de Bo Arne Vibenius en est un des meilleurs exemples. Considéré comme un classique du cinéma d’exploitation suédois, ce film met en scène Christina Lindberg dans le rôle d’une femme réduite en esclavage sexuel avant de se venger brutalement. Le film explore la domination et la soumission à travers des scènes explicites, parfois choquantes, et illustre les abus de pouvoir sous un angle à la fois critique et sensationnaliste. La mise en scène accentue les chaînes, les contraintes physiques et le contrôle imposé au personnage principal, des éléments associés à une vision sombre du BDSM.
Les films d’exploitation suédois des années 1970 incluent souvent des scènes de contrainte, de soumission forcée ou de mise en esclavage, soulignant une dimension provocatrice et choquante liée au genre.
Le BDSM dans le cinéma suédois des années 1965-1980 oscille entre deux pôles : exploration artistique et psychologique dans des œuvres comme celles de Bergman, où les rapports de pouvoir et les tensions émotionnelles touchent aux codes du BDSM sans être explicites, représentation sensationnaliste et provocatrice dans le cinéma d’exploitation, où les pratiques BDSM sont souvent utilisées pour choquer ou stimuler un public international.