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3. Le parlant jusqu’aux années 60

Le cinéma mondial entre 1935 et 1965, marqué par les codes de censure et des contextes sociaux variés, aborde les thèmes du BDSM de manière voilée et codée. Ces pratiques, bien qu’absentes de l’écran en raison de tabous culturels et de restrictions imposées par des organismes comme le Code Hays aux États-Unis, apparaissent à travers des dynamiques de pouvoir, des symboles visuels et des sous-entendus narratifs.

A Hollywood, le code de censure Hays, en vigueur de 1934 à 1968, impose des limites strictes sur la représentation de la sexualité et de la violence. Les pratiques BDSM, perçues comme transgressives, sont absentes explicitement mais se manifestent sous des formes métaphoriques. Les films noirs et les drames psychologiques jouent ainsi avec des dynamiques de pouvoir implicites.

 

Moins soumis à la censure, le cinéma européen, notamment en France, peut intégrer des thématiques plus subversives dans des films comme Les Diaboliques (1955) de Clouzot. Des films comme La Ronde (1950) de Max Ophüls, avec ses cercles de désir et de contrôle, explorent subtilement les dynamiques de pouvoir érotique.

En Italie, le néoréalisme puis le cinéma de Visconti, comme Senso (1954) ou Les Nuits Blanches (1957) montre des personnages piégés par leurs passions destructrices.

Dans des films comme Accattone (1961) ou Mamma Roma (1962), Pasolini met en lumière les rapports de pouvoir dans les marges de la société italienne. Les personnages, souvent issus de la classe ouvrière ou des bas-fonds, sont écrasés par les structures économiques et sociales qui les maintiennent dans la pauvreté.

Au Japon, le cinéma commence à explorer les premières formes de l’érotisme visuel, annonçant la montée du pink eiga (« cinéma rose ») et des thèmes liés au shibari dans les années 1960. Les prémices du cinéma érotique japonais se manifestent à travers des représentations de contraintes et d’humiliation dans des récits historiques.

Partout le cinéma, limité par les normes strictes de censure et les tabous sociaux de l’époque, utilise des métaphores visuelles et symboliques pour suggérer les dynamiques de domination et de soumission sans les montrer directement. Ces métaphores servent à évoquer des tensions sexuelles, des rapports de pouvoir ou même des pulsions inconscientes, souvent sans qu’elles soient explicitement liées à la sexualité.

Le BDSM était suggéré par des éléments de mise en scène, des costumes et des accessoires. Les contraintes physiques et émotionnelles étaient exploitées comme métaphores pour exprimer des thèmes plus profonds, comme la domination, la soumission ou l’humiliation.

a. Les métamorphoses

Entre 1935 et 1965, le cinéma, particulièrement sous l’influence des restrictions du Code Hays à Hollywood, utilise des métaphores pour suggérer des thèmes liés au BDSM. Ces métaphores permettent d’explorer des dynamiques de pouvoir, de contrainte, de douleur ou de plaisir sans enfreindre les normes sociales de l’époque. Le cinéma européen et asiatique, souvent moins contraint par la censure, joue également avec ces symboles pour enrichir la complexité de ses récits.

Femmes fatales et hommes tyranniques : la mise en scène des relations de pouvoir

Les relations BDSM implicites apparaissent dans les dynamiques de domination et de soumission entre les personnages.

Les femmes fatales des films noirs manipulent les hommes par la séduction et la trahison, transformant leur sexualité en un outil de domination et renversant les rôles de pouvoir traditionnels. Dans Gilda (1946), Rita Hayworth incarne la quintessence de la femme fatale à travers son personnage. Gilda, avec la scène célèbre où elle enlève un gant en chantant « Put the Blame on Mame », représente la séduction, le mystère et le danger, des caractéristiques typiques de l’archétype de la femme fatale dans le cinéma classique hollywoodien.

Barbara Stanwyck dans Assurance sur la Mort (1944) représente la femme fatale manipulatrice. Elle séduit Fred MacMurray, un agent d’assurance, pour l’inciter à tuer son mari et récupérer l’argent de l’assurance. Son charme glacial et son intelligence calculatrice en font l’une des femmes fatales les plus emblématiques du film noir.

Dans La Griffe du Passé (1947), Jane Greer est douce et vulnérable en apparence, mais son véritable visage est celui d’une femme sans scrupules. Elle manipule les hommes qui tombent sous son charme et n’hésite pas à mentir, trahir et tuer pour protéger ses intérêts.

Mary Astor, dans Le Faucon Maltais (1941), est une femme rusée et manipulatrice qui entraîne le détective privé (Humphrey Bogart) dans une affaire complexe autour de la quête d’une statuette précieuse. Elle incarne la duplicité et l’ambiguïté morale typiques de la femme fatale.

Dans Le Facteur sonne toujours deux fois (1946), Lana Turner, insatisfaite de son mariage, séduit un vagabond (John Garfield), pour l’aider à tuer son mari et prendre le contrôle du restaurant familial. Son mélange de sensualité et de désespoir en fait une femme fatale convaincante.

Dans Péché Mortel (1945), Gene Tierney est une femme fatale atypique, motivée non pas par l’argent mais par une jalousie obsessive et destructrice. Son amour possessif pour son mari la pousse à des actes extrêmes, y compris le meurtre. Son apparence glaciale et son calme contrastent avec son comportement impitoyable.

Les personnages masculins autoritaires ou tyranniques sont souvent utilisés pour créer des conflits dramatiques intenses ou symboliser des figures de pouvoir oppressif. Ils peuvent incarner une forme de sadisme émotionnel, comme dans Hantise (1944), où le mari manipulateur impose une domination psychologique à son épouse.

Manipulateur et mégalomane, Charles Foster Kane (Orson Welles) dans Citizen Kane (1941) incarne un magnat de la presse dont l’ambition et le contrôle démesuré détruisent ses relations personnelles. Sa tyrannie s’exprime autant envers ses employés qu’envers ses proches, notamment sa seconde épouse.

Dans La Lettre (1940) de William Wyler, Herbert Marshall incarne un mari contrôlant de manière subtile, utilisant les codes sociaux et le devoir conjugal pour maintenir son autorité sur sa femme (Bette Davis).

 

Les ombres sont souvent utilisées pour créer une atmosphère de mystère, de pouvoir latent et de menace. Dans les films noirs, comme Le Faucon maltais (1941), les ombres représentent des intentions cachées, la tromperie et l’emprise psychologique. L’utilisation de l’éclairage pour obscurcir partiellement un visage ou pour créer des contrastes visuels violents devient une manière de suggérer un conflit de pouvoir. L’ombre est ici une métaphore du côté sombre des relations humaines et de la capacité de certains personnages à manipuler ou contrôler les autres en restant eux-mêmes dans l’ombre.

Les métaphores visuelles

Les images et les éléments de mise en scène permettent de coder les thèmes BDSM dans des formes symboliques.

Dans Rebecca (1940), les décors gothiques et l’architecture imposante de Manderley devient une métaphore de la domination : l’immense manoir où arrive la nouvelle épouse Joan Fontaine devient le symbole d’un pouvoir autoritaire et écrasant, où elle est enfermée dans un monde de règles et de contrôles invisibles.

Des tenues spécifiques, comme les corsets, les gants ou les bottes, évoquent des éléments BDSM. Les corsets serrés des héroïnes de films historiques ou de westerns, comme dans Autant en emporte le Vent (1939), incarnent une forme de restriction et de contrôle.

Dans les films noirs, les femmes fatales portent souvent des gants ou des vêtements de cuir, suggérant une autorité érotique implicite, comme dans la scène célèbre où Rita Hayworth enlève lentement son gant dans Gilda (1946).

Le jeu entre lumière et obscurité dans les films noirs évoque les dynamiques de contrôle et de domination. Les ombres projetées par des barreaux, des rideaux ou des fenêtres créent un effet de captivité.

Les regards et la tension visuelle

Dans les films d’Hitchcock, comme Vertigo (1958), le regard est utilisé pour exprimer une forme de contrôle et de pouvoir. James Stewart, par son obsession pour le personnage de Kim Novak, tente de la manipuler et de la transformer selon ses désirs. Le jeu de regards renforce la tension de domination et de soumission, avec la femme sous l’emprise psychologique de l’homme.

Ce « regard dominant » est une métaphore puissante de la possession et du contrôle mental, souvent associée au voyeurisme, comme dans Fenêtre sur cour (1954) où le personnage principal, également interprété par James Stewart, observe des vies à travers des fenêtres, exerçant un pouvoir distant mais intrusif sur elles.

Les costumes et accessoires

Les costumes ont souvent servi à signaler des éléments de domination ou de soumission. Les personnages féminins en vêtements noirs ou en cuir, comme les « femmes fatales » des films noirs, dégagent une image de puissance sexuelle. Dans Gilda (1946), Rita Hayworth, avec sa tenue et son attitude provocante, incarne la femme qui subjugue et exerce un contrôle mental et émotionnel sur les hommes.

Le costume permet de communiquer visuellement des rôles de pouvoir : le cuir, par exemple, renvoie à une image plus dure, plus distante et inaccessible, renforçant l’idée de domination et d’autorité. Il apparaît par exemple dans les films noirs où des personnages féminins adoptent des costumes qui soulignent leur autorité.

Les miroirs ont également servi de métaphore pour les luttes de pouvoir internes et les aspects cachés de la personnalité. Dans La Belle et la Bête (1946) de Jean Cocteau, les miroirs et les reflets symbolisent le désir et la découverte de soi, tout en faisant référence à une dualité entre la beauté et la laideur, la douceur et la domination. L’image de soi dans le miroir peut représenter une version alternative et souvent plus puissante du personnage, une forme d’altérité à laquelle il peut se soumettre ou qu’il peut dominer.

Les chaînes, liens et objets de contrainte

Les chaînes, menottes, cordes et autres dispositifs de contrainte, ainsi que cages et portes verrouillées, sont des éléments couramment utilisés dans le cinéma pour représenter la soumission et la restriction, bien que rarement dans un contexte explicitement sexuel avant les années 1960. Les chaînes symbolisent l’impuissance ou la captivité, mais elles contiennent aussi un sous-texte de désir d’abandon et de contrôle.

La version parlante de Ben-Hur (1959) présente des scènes d’enchaînement et de servitude dans un contexte historique, une forme de contrainte extrême qui peut être interprétée sous un angle BDSM. Quintus Arrius, qui a reconnu en Ben-Hur un homme libre, lui retire symboliquement ses chaînes avant la bataille navale.

Mais l’enfermement peut aussi être émotionnel : la manipulation psychologique dans des films comme Hantise (1944) reflète un contrôle proche du sadisme émotionnel.

Ces éléments apparaissent souvent dans des films historiques ou exotiques pour maintenir une distance narrative, comme dans Quo Vadis (1951) avec Deborah Kerr, ou Salome (1953) avec Rita Hayworth.

Les symboles de souffrance et de contrôle

Le BDSM s’exprime souvent par des images de souffrance ou de contrôle dans des contextes détournés.

Les scènes de punition ou de souffrance deviennent des métaphores de soumission. Quo Vadis (1951) montre des martyrs chrétiens enchaînés, avec des sous-entendus de douleur exaltée dans une dimension sacrificielle.

Les scènes de flagellation ou d’humiliation dans Spartacus (1960) incarnent des rapports de force implicites.

Les personnages féminins dans des mélodrames, comme dans Eve (1950), subissent des humiliations verbales ou sociales qui renforcent les thématiques de soumission ou de revanche.

Les animaux et la métaphore de la bête

Les métaphores animales ont souvent été utilisées pour représenter le désir de domination et de contrôle. Dans La Belle et la Bête (1946) de Cocteau, la Bête est un être à la fois terrifiant et séducteur, incarnant une figure de pouvoir mais aussi de désir inconscient. Ce personnage ambigu évoque le pouvoir de l’animalité, de l’instinct et de la pulsion, en contraste avec la douceur et la vulnérabilité de la Belle, qui, peu à peu, se soumet à cette figure bestiale. Cette métaphore de la bête représente une forme d’attraction et de répulsion, un mélange de peur et de fascination qui exprime le désir de domination et de soumission.

Les métaphores dans les dialogues

Les scénarios utilisent des dialogues évocateurs pour suggérer des relations de pouvoir.

Les répliques implicites d’une femme fatale ou d’un personnage dominant traduisent une tension sexuelle. Ainsi dans Assurance sur la Mort (1944), les échanges entre les amants Barbara Stanwyck et Fred MacMurray sont empreints de manipulation et de domination psychologique.

Les personnages qui usent de leur position de pouvoir (patrons, figures parentales, aristocrates) se servent souvent d’un langage symbolisant leur domination.

Conclusion

Les métaphores employées avant les années 1960 servent donc à exprimer des dynamiques de pouvoir et de désir implicites, souvent inconscientes, tout en contournant les normes de censure. Ces éléments de décor, les symboles visuels, et les interactions non verbales sont devenus des moyens pour les cinéastes de traiter de sujets complexes et de tensions psychologiques tout en restant dans les limites de ce qui pouvait être montré à l’écran. Ils ont ainsi posé les bases d’une esthétique du pouvoir et de la soumission qui influencera l’exploration plus explicite du BDSM dans le cinéma des décennies suivantes.

b. Les alibis historiques

Les persécutions historiques, telles que celles des premiers chrétiens ou des sorcières, et plus tard des situations plus modernes comme les camps de prisonniers, offrent des contextes symboliques permettant d’évoquer le BDSM de manière voilée. En mettant en scène des figures persécutées, humiliées et punies, le cinéma crée un espace où l’on peut explorer les thèmes de souffrance, de domination, et de transgression, tout en se situant à un niveau métaphorique et « historique » qui évite l’accusation de traiter des sujets trop tabous.

Les martyrs chrétiens et la glorification de la souffrance

Dans de nombreux films historiques et bibliques, les premiers chrétiens sont montrés comme des martyrs qui acceptent la souffrance et la persécution comme un acte de foi ultime. Ces récits de torture et de dévotion sont souvent présentés avec une mise en scène détaillée des supplices corporels, symbolisant une forme de soumission et d’acceptation de la douleur. Cette glorification de la souffrance, de l’endurance et du sacrifice corporel peut être interprétée comme une exploration allusive de la dynamique BDSM. L’idée de subir des épreuves comme moyen de purification, ou même de transcendance, est souvent comparable à la recherche de limites que l’on trouve dans certaines pratiques BDSM, où la douleur devient un moyen d’atteindre un état psychologique transformateur.

Dans un film comme Quo Vadis (1951), où des martyrs chrétiens sont torturés dans l’arène, les scènes de mise à mort sont mises en scène avec une certaine esthétique qui pourrait évoquer, de manière sublimée, l’acceptation du sacrifice et de la douleur dans une posture de soumission presque spirituelle.

Les procès en sorcellerie et la transgression des normes

Les persécutions de sorcières sont souvent associées à des interrogatoires, des tortures et des jugements publics qui visent à humilier et soumettre les victimes. Le cinéma des années 1960 et 1970, notamment dans le genre de l’horreur et de l’exploitation, utilise ces figures pour représenter des personnages féminins puissants qui sont punis pour leur transgression des normes, une dynamique qui peut rappeler la domination et la punition dans le BDSM. La sorcière est une femme souvent perçue comme « indomptable », exerçant une forme de pouvoir ésotérique, que la société cherche à « corriger » par la torture et l’humiliation.

Dans Le Grand Inquisiteur (1969) de Michael Reeves avec Vincent Price, des scènes de torture et d’interrogatoire de femmes accusées de sorcellerie deviennent un prétexte pour explorer la soumission forcée et la domination sadique de l’inquisiteur. Les femmes subissent une forme d’humiliation rituelle qui évoque des dynamiques BDSM où la domination n’est pas consentie, mais où la transgression est punie pour son potentiel subversif.

Flagellation et séances de torture

Dans certains films traitant de l’histoire religieuse, les rituels de flagellation et de pénitence sont représentés comme une forme de purification spirituelle. Ce thème de la pénitence corporelle, où la douleur devient un moyen d’expier les péchés, touche à des dynamiques associées au BDSM, mais dans un contexte de spiritualité. L’auto-flagellation est un acte de soumission totale, une manière de prendre le contrôle de sa propre souffrance.

Par exemple dans Les Diables (1971) de Ken Russell, l’autoflagellation et les scènes de possession et de torture dans un couvent mettent en lumière les thèmes de la transgression, de la domination et de la punition.

Dans les films traitant de l’Inquisition ou des guerres de religion, les séances de torture sont souvent représentées avec une mise en scène extrêmement détaillée, presque cérémonielle, qui souligne la fascination pour la douleur et la domination psychologique. Ces scènes jouent sur l’intensité des rapports de pouvoir, où le tortionnaire devient une figure de domination absolue, imposant la souffrance comme un moyen de contrôle total.

Dans Le Nom de la rose (1986) de Jean-Jacques Annaud, les scènes d’interrogatoire de moines suspectés d’hérésie jouent avec une esthétique d’oppression et de domination, où la douleur devient une sorte de catharsis et un moyen de confession. Bien que traitées sous un angle religieux et moral, ces scènes renvoient à des rituels SM où la douleur est infligée dans un cadre de domination rituelle.

Dans les récits où des figures « rebelles » subissent la persécution, l’acte de résister ou de se soumettre au supplice devient un moyen d’exprimer une libération par la souffrance. Ces personnages, souvent des femmes ou des figures marginalisées, incarnent la transgression face à une autorité brutale qui cherche à les « mater ». Ce type de récit laisse entendre que la souffrance infligée est paradoxalement un moyen d’affirmer leur indépendance et leur liberté intérieure, un concept qui n’est pas sans rappeler la catharsis et la libération personnelle qui peuvent être recherchées dans le BDSM.

Par exemple dans Le Procès de Jeanne d’Arc (1962) de Robert Bresson, Jeanne subit des interrogatoires intensifs et des humiliations, mais elle garde un contrôle spirituel sur elle-même, résistant symboliquement aux tentatives de domination de l’Église. Son martyre devient une affirmation de son identité, rappelant comment, dans certaines pratiques BDSM, la souffrance physique est transcendée pour révéler une puissance intérieure.

En dehors des persécutions religieuses et des chasses aux sorcières, le cinéma a utilisé plusieurs autres alibis historiques pour explorer des dynamiques de domination et de soumission.

L’esclavage et la captivité

Les récits autour de l’esclavage et de la captivité, qu’ils soient basés sur des faits historiques ou légendaires, fournissent un cadre propice pour montrer des relations de pouvoir extrême, de domination totale et de dépendance forcée. Les captifs ou les esclaves sont souvent représentés en situation de vulnérabilité totale face à leurs « maîtres » ou dominateurs, ce qui renforce un imaginaire de soumission involontaire et de possession. Dans des films comme Spartacus (1960) de Stanley Kubrick, l’esclave devient une figure de victime contrainte, soumise à des règles strictes, punie, et privée de liberté, des thèmes qui font écho à certaines dynamiques BDSM.

En dépit du contexte historique lourd et violent de l’esclavage, certaines scènes de captivité, souvent filmées avec un esthétisme prononcé, se chargent d’une symbolique autour de la soumission et du contrôle. Le cinéma met en avant les marques de la domination, comme les chaînes, les ordres, et les punitions, permettant au spectateur de ressentir à la fois l’horreur de la situation et une fascination pour la dynamique du pouvoir absolu exercé sur autrui.

Les prisons et les camps militaires

Les récits se déroulant en prison, en particulier dans les films des années 1960 et 1970, mettent en scène des relations de pouvoir et de domination entre gardiens et prisonniers. Ces dynamiques permettent de montrer des personnages placés dans des situations où ils n’ont plus de contrôle sur leur propre corps, leurs mouvements ou leur quotidien. Les relations qui se développent entre gardiens et détenus sont souvent marquées par des actes de soumission forcée et de punitions, notamment dans des films comme Papillon (1973) ou Midnight Express (1978).

Les camps militaires sont également un cadre fréquent pour explorer le thème de la domination hiérarchique, où les nouveaux soldats sont soumis à des rituels humiliants et à une discipline rigoureuse. Dans Le Pont de la Rivière Kwaï (1957), un violent combat pour la domination s’exerce entre le commandant du camp (Sessue Hayakawa) et un officier anglais prisonnier (Alec Guiness). Le commandant exerce d’abord son autorité sadique sur le prisonnier, puis la relation de domination s’inverse quand le Japonais a besoin de l’Anglais pour construire son pont.

Les sociétés féodales et les rapports de vassalité

Les films sur le Moyen Âge et la féodalité, où le pouvoir des seigneurs sur les serfs et les vassaux est absolu, créent un cadre propice pour explorer des dynamiques de domination. Les relations de vassalité et de soumission y sont présentées comme naturelles et nécessaires, le seigneur ayant le pouvoir de vie et de mort sur ses sujets. Ce contexte historique permet de montrer des scènes de dévouement et de soumission totale, où les serfs acceptent leur statut, parfois avec une dévotion proche de l’adoration. Cette soumission peut également être ritualisée, renforçant une esthétique de la hiérarchie absolue.

Dans Ran (1985) d’Akira Kurosawa, qui s’inspire de la féodalité japonaise, la loyauté envers les seigneurs prend un aspect sacrificiel. Les vassaux acceptent la souffrance et l’humiliation pour rester fidèles, évoquant ainsi une forme de soumission volontaire. Le serment de vassalité devient une allusion aux engagements entre dominants et soumis, un contrat social qui laisse peu de place à l’autonomie personnelle.

Les récits d’exploration et de colonialisme

Les récits de colonisation et d’exploration sont souvent l’occasion de représenter des relations de pouvoir extrêmes, où les colonisateurs imposent leurs règles, leur autorité et leur culture aux peuples autochtones. Dans de nombreux films, les personnages colonisés sont dépeints dans des situations de soumission imposée, où ils perdent leur liberté et leur autonomie. Ce type de relation asymétrique, où le pouvoir de l’un est imposé de manière totalitaire à l’autre, sert de métaphore à la domination et au contrôle absolu.

Dans Aguirre, la colère de Dieu (1972) de Werner Herzog, les explorateurs imposent leur volonté aux populations locales et exercent une autorité violente, y compris entre eux. Ce rapport de domination prend une dimension hallucinée où le contrôle et la cruauté deviennent une sorte de rituel, renvoyant aux dynamiques de domination où le pouvoir est exercé de manière totalitaire et dépersonnalisante.

Les procès politiques et les purges idéologiques

Les procès politiques, que ce soit pendant la Révolution française, la Terreur stalinienne ou les purges maoïstes, offrent un cadre où la domination psychologique et la soumission sont explorées sous forme d’interrogatoires et de confessions forcées. Dans ce type de contexte, les accusés sont contraints de se soumettre à une autorité implacable, qui cherche non seulement à punir mais aussi à briser leur esprit et à les humilier. Ces procès deviennent des mises en scène de la domination absolue, avec des aveux extorqués sous la contrainte, des manipulations mentales et des punitions publiques.

Dans L’Aveu (1970) de Costa-Gavras, Yves Montand est un haut fonctionnaire fidèle au Parti communiste, mais il devient victime d’un système paranoïaque. Les interrogateurs, incarnant l’appareil d’État, utilisent des techniques de manipulation psychologique, d’humiliation et de torture pour briser son esprit. Les bourreaux, bien qu’en position de force, ne sont pas libres non plus. Ils sont eux-mêmes soumis à une hiérarchie stricte et doivent obéir à des ordres, ce qui illustre la nature oppressive du pouvoir dans un système totalitaire.

Dans un autre contexte, Le Procès (1962), adapté du roman de Kafka et réalisé par Orson Welles, illustre la bureaucratie oppressante et les absurdités d’un système judiciaire tyrannique, où un homme est accusé d’un crime sans jamais connaître les charges.

 

Les sacrifices rituels dans les mythologies antiques

Les mythes antiques, où des personnages sont souvent sacrifiés aux dieux ou soumis à des épreuves initiatiques, représentent également des mises en scène de soumission et de sacrifice. Les films inspirés souvent de la mythologie grecque, montrent des sacrifices humains comme des gestes ultimes de dévotion, où la victime se soumet à une force supérieure, renonçant à sa vie ou à son corps pour satisfaire une puissance divine. Cette dynamique de dévotion extrême, de l’offrande du corps et de la douleur comme moyen de transcendance, renvoie aux thématiques BDSM de la soumission volontaire et du don de soi.

Ainsi dans Jason et les Argonautes (1963), les personnages doivent se soumettre à des épreuves physiques extrêmes pour prouver leur valeur ou satisfaire les dieux, une forme de rituel de souffrance pour accéder à un objectif supérieur.

Conclusion

Les alibis historiques comme l’esclavage, la prison, la féodalité, le colonialisme, les procès politiques et les rituels antiques offrent des cadres narratifs qui permettent d’explorer indirectement des dynamiques de domination, de soumission et de contrainte, avec des nuances symboliques qui évoquent le BDSM. Chacun de ces contextes offre des variations sur le thème de la domination, où les rapports de pouvoir deviennent des instruments de contrôle corporel et psychologique, souvent mis en scène avec une fascination esthétique pour la souffrance, la soumission et l’autorité.

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