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2. Le début du parlant, hors des Etats-Unis

a. En Allemagne

Le cinéma allemand des années 1930, tout particulièrement durant la période de la République de Weimar (jusqu’en 1933), est un terrain fertile pour explorer des thématiques transgressives comme le BDSM. Cette période de créativité artistique intense a permis l’émergence de films explorant les désirs humains sous un angle audacieux, influencés par l’effervescence culturelle, les théories psychanalytiques freudiennes, et une société en pleine mutation sociale.

 

La République de Weimar a vu une libération culturelle et sexuelle qui s’est traduite par des films explorant des sujets tabous, notamment le sadomasochisme. Berlin est alors un centre mondial de la contre-culture et des pratiques alternatives, y compris celles liées au BDSM. Les cabarets berlinois et l’esthétique expressionniste ont inspiré des mises en scène théâtrales, stylisées, souvent sombres, qui convenaient parfaitement à l’exploration des thèmes BDSM.

Les travaux de Freud et d’autres penseurs ont influencé les cinéastes, en mettant l’accent sur les désirs refoulés, la souffrance psychologique, et les dynamiques de pouvoir.

Les films allemands de cette période explorent souvent des relations de pouvoir, où les personnages exercent ou subissent une domination psychologique ou physique. Le cinéma de Weimar excelle dans l’utilisation d’un langage visuel riche et symbolique pour représenter des désirs interdits, y compris ceux associés au BDSM.

L’esthétique expressionniste utilise les ombres pour créer des atmosphères inquiétantes et évoquer des luttes intérieures. Cela peut aussi représenter la dualité entre plaisir et douleur, désir et interdiction. Les espaces confinés, tels que les chambres, les pensionnats ou les prisons, symbolisent la contrainte et deviennent des lieux où les désirs interdits se manifestent.

 

A la fin du muet, Louise Brooks dans Loulou (1929) illustrait déjà une femme dont la sexualité et la nature librement dominatrice entraînait la destruction des hommes et des femmes qui l’entourent. Mais elle est aussi progressivement emprisonnée, au sens figuré et littéral, par les désirs des autres et par la société qui cherche à la punir pour sa sexualité libre.

Le premier film parlant allemand est aussi celui qui fait de Marlene Dietrich une star, L’Ange Bleu (1930) de Joseph von Sternberg. Poursuivant la tradition de la vamp, elle est une des premières incarnations de la femme fatale sous la forme de la chanteuse Lola Lola, et elle transforme le professeur Rath, joué par Emil Jannings, en esclave émotionnel, totalement dévoué et anéanti par son pouvoir. Lola Lola exerce une emprise totale sur le professeur, avec des gestes suggestifs et des manipulations tactiles. Les mains qui se posent sur les épaules, les bras ou le cou sont autant de gestes qui transmettent des sensations de contrôle et d’autorité. Ces gestes de contact physique sont des moyens visuels subtils de représenter la possession et la soumission sans passer par des actes explicites.

Marlene Dietrich partira aussitôt après pour Hollywood avec son metteur en scène pour y poursuivre une grande carrière de femme fatale.

Dans le cinéma de Weimar, les personnages sont fréquemment soumis à des situations de confinement ou de limitation de leur liberté physique. Par exemple dans Jeunes Filles en Uniforme (1931), l’environnement strict d’un pensionnat pour jeunes filles impose une discipline rigoureuse. Les élèves sont physiquement confinées dans cet espace clos, où chaque geste est surveillé. Cette contrainte extérieure reflète la répression intérieure des désirs, notamment dans la relation entre l’élève Manuela et son enseignante.

Les contraintes peuvent également être psychologiques, comme celles qui pèsent sur le protagoniste de M (1931), un meurtrier d’enfants traqué à la fois par la police et par le monde criminel. La mise en scène de Fritz Lang souligne sa peur paranoïaque et son incapacité à échapper à ses pulsions, notamment en exploitant les possibilités nouvelles données par le son (le sifflement de l’assassin).

L’androgynie et l’ambiguïté sexuelle sont présentes également, notamment dans Viktor und Viktoria (1933), film musical qui joue avec les rôles de genre et les dynamiques de pouvoir. Bien qu’il s’agisse d’une comédie, la subversion des normes sexuelles et sociales crée un espace pour explorer des désirs alternatifs.

 

Après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, la censure s’intensifie, et les représentations transgressives disparaissent presque totalement du cinéma allemand. Les thèmes BDSM, déjà souvent implicites, deviennent impossibles à aborder, sauf sous forme de propagande déformant ces pratiques comme des « perversions » associées à des ennemis politiques ou moraux.

b. En France

Le cinéma français des années 1930 aborde de manière subtile ou implicite des thèmes associés au BDSM, bien que les représentations explicites soient rares en raison des normes sociales et culturelles de l’époque. Cette décennie, marquée par des bouleversements sociaux et économiques, voit émerger un cinéma poétique, souvent sombre et mélancolique, qui explore les dynamiques de pouvoir, la souffrance émotionnelle et les désirs transgressifs sous des formes codées.

La France des années 1930 est marquée par une forte créativité artistique, influencée par le surréalisme, l’avant-garde et le réalisme poétique. Ces mouvements favorisent l’exploration des désirs humains, y compris leurs aspects sombres et ambivalents. Malgré cette créativité, la société française reste imprégnée de valeurs bourgeoises et catholiques, ce qui limite les représentations explicites de la sexualité. Le BDSM est donc généralement suggéré par des sous-textes, des mises en scène ou des symboles.

Les films français de cette époque s’intéressent souvent aux relations de pouvoir, que ce soit dans le contexte amoureux, professionnel ou familial. Ces relations intègrent parfois des éléments comme la domination, la soumission, ou la manipulation émotionnelle.

Par exemple La Chienne (1931) de Jean Renoir explore la relation destructrice entre un homme soumis (Michel Simon) et une femme fatale manipulatrice (Janie Marèse). Bien que la violence physique ne soit pas centrale, la manipulation psychologique et l’humiliation subie par le protagoniste reflètent des dynamiques de pouvoir liées au BDSM.

Dans L’Atalante (1934) de Jean Vigo, le couple central illustre des tensions de pouvoir émotionnelles. Le personnage masculin exerce une domination jalouse sur sa femme, qui cherche à affirmer son indépendance.

Les films mettent aussi en scène des situations où les personnages, souvent féminins, sont physiquement ou symboliquement contraints. Ces contraintes peuvent évoquer des thématiques BDSM, même si elles sont généralement intégrées dans des récits tragiques ou sociaux.

Dans Zouzou (1934) de Marc Allégret, Joséphine Baker lutte contre des normes sociales et des attentes oppressives, reflétant une contrainte sociale et symbolique. Le Grand Jeu (1934) de Jacques Feyder met en scène des personnages soumis à des pressions psychologiques et émotionnelles intenses, notamment dans des relations amoureuses où la domination et la soumission jouent un rôle clé.

La souffrance, qu’elle soit physique ou émotionnelle, est souvent érotisée dans les films français de cette époque. Les héroïnes tragiques sont particulièrement marquées par des scénarios où elles subissent des humiliations ou des sacrifices au nom de l’amour.

Mais les hommes ne sont pas épargnés. Jean Gabin, figure emblématique du cinéma français, incarne des personnages marqués par des tensions profondes entre virilité, vulnérabilité et désir. Dans la plupart de ses rôles marquants des années 30, on peut discerner des dynamiques de pouvoir et de domination qui, bien que subtiles et rarement explicites, peuvent être interprétées sous l’angle du BDSM, notamment à travers des thèmes tels que la contrainte, la soumission émotionnelle, et les sacrifices consentis au sein de relations passionnelles.

Dans Pépé le Moko (1937) de Julien Duvivier, Pépé est physiquement libre dans la Casbah, mais il est psychologiquement captif. Cet enfermement renforce la tension dramatique et peut être interprété comme une métaphore d’une contrainte auto-imposée, un thème souvent associé au masochisme. Sa fascination pour Gaby, une femme fatale de la bourgeoisie parisienne, reflète une forme de soumission émotionnelle. Sa beauté et son inaccessibilité en font une figure presque sadique dans sa capacité à susciter un désir destructeur. La mort tragique de Pépé, au moment où il aperçoit le bateau emportant Gaby, cristallise la tension entre désir et souffrance. Il meurt pour un amour inaccessible, incarnant l’essence d’un masochisme romantique où la douleur devient le climax du désir.

Dans plusieurs autres films, Gabin joue des personnages soumis à des passions destructrices. Dans La Bête humaine (1938) de Renoir, le personnage de Jacques Lantier est dominé par une pulsion incontrôlable qui le conduit à la violence et à la tragédie. Dans Quai des brumes (1938) de Marcel Carné, son personnage est enchaîné à un destin tragique par amour pour Nelly, une jeune femme vulnérable mais manipulatrice. La dynamique de pouvoir oscille entre domination féminine et fatalité.

Ces thématiques, suggérées à travers des relations de domination, des sacrifices émotionnels, ou des symboles visuels, restent codées dans des récits souvent tragiques ou poétiques. Cette subtile exploration influencera les représentations ultérieures du BDSM dans le cinéma français.

c. En Asie

Le cinéma asiatique des années 1930, bien qu’encore émergent par rapport aux industries occidentales, commence à explorer des thématiques sociales et humaines complexes. Le BDSM en tant que thème explicite est rarement abordé à cette époque en raison des normes culturelles conservatrices, des tabous sociaux et des contraintes de censure. Pourtant, certains films suggèrent des dynamiques de pouvoir, de domination et de soumission à travers des récits de souffrance, de contraintes physiques ou émotionnelles, et de sacrifices.

Le Japon

L’industrie cinématographique japonaise est alors en plein essor, dominée par des genres tels que le jidai-geki (drames historiques) et le gendai-geki (drames contemporains). Les thèmes de l’honneur, du sacrifice et de la souffrance, souvent présents dans la culture japonaise, offrent un cadre où des dynamiques de pouvoir peuvent être explorées.

Le premier film japonais parlant, Mon Amie et mon Epouse (1931) de Heinosuke Gosho, aborde des tensions familiales et des déséquilibres émotionnels qui, bien que subtils, évoquent parfois une forme de contrôle ou de domination psychologique.

Le cinéma japonais des années 1930 met souvent en avant des figures féminines qui endurent la souffrance ou le sacrifice, parfois dans des relations où elles sont soumises à un contrôle extérieur.

Dans L’Elégie de Naniwa (1936), Kenji Mizoguchi, connu pour ses portraits de femmes opprimées, explore la descente aux enfers d’une standardiste qui devient la maîtresse d’un homme influent. Sa soumission est à la fois physique et sociale, reflétant des dynamiques de pouvoir caractéristiques du BDSM.

Les geishas, en tant que figures culturelles soumises à des règles strictes et souvent exploitées par les hommes, incarnent des relations de pouvoir où la contrainte physique et sociale est omniprésente. Les tenues traditionnelles des geishas, telles que les kimonos serrés, peuvent symboliser la contrainte physique et la soumission culturelle. Dans les films de Mizoguchi comme Les Sœurs de Gion (1936), elles sont souvent filmées dans des postures où leur immobilité ou leur obéissance est soulignée.

La Chine

Le cinéma chinois des années 1930 est marqué par des films engagés, qui dénoncent les injustices sociales et mettent en scène des héroïnes tragiques. Des éléments de domination et de soumission apparaissent souvent dans des contextes de hiérarchie sociale, de conflits familiaux ou de relations amoureuses déséquilibrées.

La Divine (1934) de Wu Yonggang met en scène une mère célibataire (jouée par Ruan Lingyu) obligée de se prostituer pour subvenir aux besoins de son fils. Bien que l’histoire soit ancrée dans un contexte social, elle inclut des éléments de contrainte physique et de domination masculine.

L’Inde

Le cinéma indien de cette époque est dominé par des récits mythologiques ou romantiques, où les relations de pouvoir sont souvent encadrées par des valeurs traditionnelles.

Devdas (1935) de P.C. Barua, bien que centré sur une tragédie romantique, présente des éléments de souffrance émotionnelle et de renoncement, qui évoquent des thèmes liés au sacrifice et à la douleur.

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