1 – Le début du parlant, la période pré-code aux États-Unis
A Hollywood, le cinéma parlant, apparu en 1927, a complètement supplanté le muet dès le début de 1929. S’ouvre alors une période particulière de l’histoire du cinéma hollywoodien : la période dite « Pré-Code », avant l’application stricte du Code Hays en 1934. Pendant ces années, Hollywood a joui d’une relative liberté d’expression et a exploré des thèmes et des images qui seraient bientôt censurés. C’est une période intense de créativité, où les cinéastes repoussent les limites des normes sociales de l’époque.
En 1930, l’Association des producteurs et distributeurs de films d’Amérique (MPPDA) adopte un ensemble de lignes directrices pour réguler le contenu des films, connu sous le nom de Production Code ou « Code Hays », du nom de Will H. Hays, président de la MPPDA. Ce code énonce des principes stricts visant à garantir que les films respectent la morale publique et évitent les sujets controversés (sexe, violence, drogue, etc.).
Cependant, jusqu’en juillet 1934, le Code est largement ignoré ou appliqué de manière laxiste, ce qui a donné naissance à une période de liberté créative exceptionnelle. Les films de cette époque se distinguent par leur audace dans le choix des thèmes et des représentations : liberté sexuelle, usage de drogues ou d’alcool, crimes glorifiés, critique sociale, ambiguïté morale des personnages.
Certains de ces thèmes pourraient être associés aujourd’hui au BDSM. Même si ces termes modernes ne sont pas utilisés, certaines œuvres reflètent des dynamiques de pouvoir, de contrainte et de sensualité qui s’en rapprochent.
a. Les dynamiques de pouvoir et la domination sexuelle
Pendant la période Pré-Code, les relations de pouvoir asymétriques, souvent teintées de sous-entendus érotiques, sont omniprésentes. Que ce soit dans les relations homme-femme ou entre classes sociales, on trouve des scènes de contrôle, d’humiliation, ou même de contrainte qui évoquent des thématiques BDSM.
Ces films jouent fréquemment avec les relations d’autorité, les tensions sexuelles et les luttes pour le contrôle, et reflètent à la fois les bouleversements sociaux de l’époque et les libertés créatives des cinéastes avant l’application stricte du Code Hays. Les relations amoureuses sont fréquemment construites sur des bases de pouvoir inégal, où un partenaire cherche à dominer l’autre, souvent par des moyens psychologiques ou émotionnels.
La domination féminine
Dans un contexte où les femmes commencent à revendiquer une plus grande indépendance sociale et économique, de nombreux films Pré-Code mettent en scène des femmes exerçant un pouvoir inédit sur les hommes.
La vamp des origines est devenue la femme fatale, séductrice qui utilise son intelligence, son charme et sa sexualité pour manipuler les hommes. Dans Baby Face (1933), Barbara Stanwyck incarne une femme qui gravit l’échelle sociale en exploitant ses relations avec des hommes puissants. Elle incarne une domination subtile mais implacable. De même dans La femme aux Cheveux Rouges / Red-Headed Woman (1932), Jean Harlow joue une femme qui exploite les failles des hommes mariés pour avancer socialement.
Marlene Dietrich, dans Morocco (1930) et Shanghai Express (1932) de Joseph von Sternberg, incarne des femmes en contrôle total de leur sexualité. Sa domination érotique s’exprime à travers son regard, son langage corporel et ses choix vestimentaires, comme le port d’un smoking masculin dans Morocco.
Mae West, célèbre pour ses répliques pleines de double sens qu’elle écrivait elle-même, incarne souvent des personnages qui dominent les hommes par leur charme et leur esprit, par exemple dans Lady Lou / She Done Him Wrong (1933). Avec son attitude audacieuse et sa maîtrise de sa sexualité, elle domine les hommes avec un charme calculé.
L’attitude de ces femmes, combinée à des costumes audacieux (robes moulantes, talons hauts, accessoires imposants), renforce leur magnétisme et leur puissance.
D’autres films présentent des figures autoritaires féminines, des femmes occupant des rôles traditionnellement masculins. Dans Female (1933), Ruth Chatterton joue une dirigeante d’entreprise qui domine ses partenaires masculins, tant sur le plan professionnel que personnel, en inversant les rôles de pouvoir genrés. »
Dans ce contexte, les hommes, bien qu’historiquement associés à des rôles de domination, sont souvent montrés dans des positions de faiblesse ou de vulnérabilité face à des femmes puissantes. Ils succombent souvent à leurs propres désirs, devenant des marionnettes dans les mains des héroïnes. Même quand ils sont en position de pouvoir, il leur arrive d’être humiliés ou détrônés par des figures féminines ou des circonstances inattendues, révélant des vulnérabilités cachées.
Le cinéma Pré-Code a ainsi souvent renversé les conventions traditionnelles en présentant des femmes fortes et des hommes faibles, ou en explorant des situations où les rôles sociaux normatifs étaient inversés. Dans Sérénade à Trois / Design for Living (1933) de Lubitsch, un triangle amoureux inhabituel voit une femme (Miriam Hopkins) partager une relation égale avec deux hommes (Gary Cooper et Fredric March), refusant les normes monogames ou patriarcales.
Les relations asymétriques de pouvoir
Les films Pré-Code explorent souvent des relations où l’un des partenaires détient une position de contrôle, qu’elle soit physique, psychologique ou émotionnelle.
Les relations de pouvoir dans le cadre professionnel sont souvent explorées, et n’éludent pas les sous-entendus érotiques. La crise économique est venue renforcer la précarité des classes laborieuses, et en particulier des femmes, et donc le pouvoir des patrons. Dans Entrée des Employés (1933), Warren William en directeur charismatique mais sans scrupules d’un grand magasin, en profite ainsi pour abuser d’une nouvelle employée, la très belle Loretta Young.
Ce harcèlement sexuel peut même inverser les genres comme dans Female, où la patronne séduit ses subordonnés masculins tout en gardant un contrôle total sur la situation.
Les relations de domination entre classes sociales sont aussi largement abordées, et l’écart entre les riches et les pauvres est souvent utilisé pour mettre en lumière ces luttes de pouvoir. Dans Haute Pègre / Trouble in Paradise (1932), un couple de voleurs charismatiques joue avec les sentiments de leur riche cible, inversant les dynamiques habituelles de pouvoir.
Dans Baby Face (1933), Lily (Barbara Stanwyck) est d’abord sous le contrôle de son père abusif, une relation qui implique une domination psychologique et économique. Par la suite, elle retourne cette dynamique en devenant elle-même une figure de pouvoir.
Les années Pré-code voient également se développer un nouveau genre cinématographique, le film de gangsters. Les chefs de bande font étalage d’une masculinité agressive, qui s’expriment notamment par une absolue domination sur leurs partenaires féminines, les « gangster molls ». Une illustration en est fournie par la scène célèbre de L’Ennemi Public (1931) où James Cagney écrase un pamplemousse sur le visage de Mae Clarke.
Tyrans et figures sadiques
Certains films mettent en scène des figures d’autorité abusives ou des tyrans, dont les comportements sadiques ou contrôlants évoquent des dynamiques BDSM implicites.
Au niveau de l’exercice du pouvoir politique, Néron dans Le Signe de la Croix (1932) incarne un tyran décadent et sadique, exerçant un contrôle total sur ses sujets et prenant plaisir à leur souffrance. Ce type de personnages incarne l’abus de pouvoir totalitaire avec des connotations érotiques implicites, comme dans la scène célèbre où Claudette Colbert, l’impératrice Poppée, se baigne dans du lait d’ânesse, ou celle où elle danse lascivement, entourée d’hommes enchaînés.
D’autres figures sadiques apparaissent dans Le Masque d’Or (1932) : Boris Karloff, en tant que le Dr. Fu Manchu, met en scène des tortures et des captivités élaborées, notamment des personnages enchaînés ou soumis à des menaces physiques. Ces scènes, souvent stylisées, exploitent une tension entre domination et vulnérabilité. Myrna Loy incarne la fille de Fu Manchu, une dominatrice sadique qui torture ses ennemis, un rôle chargé d’une forte sensualité perverse.
Ce sadisme peut aussi se retrouver dans le contexte domestique. Dans certains mélodrames, des époux ou des partenaires masculins exercent un contrôle oppressif sur leurs femmes, qui finissent parfois par se rebeller. Dans The Story of Temple Drake (1933), d’après Sanctuaire de William Faulkner, des relations sexuelles coercitives et une violence sous-jacente reflètent des luttes de pouvoir sombres et perturbantes. La jeune Temple, interprétée par Miriam Hopkins, est brutalement violée par un personnage louche, Trigger, qui la fascine par sa violence et la satisfait sexuellement (mais elle finira par le tuer). Cette relation explore des frontières troubles entre la coercition, la domination et l’attirance.
b. Mise en scène de la souffrance et de l’humiliation
La mise en scène de la souffrance et de l’humiliation est souvent liée à des thèmes de transgression, de désir, et de punition morale. Pendant la période Pré-code, les réalisateurs ont exploré des aspects sombres des relations humaines, parfois de manière explicite, souvent à travers des métaphores visuelles ou narratives, ce qui laisse place à des interprétations liées à la souffrance psychologique et physique, ainsi qu’à l’humiliation.
La souffrance physique et les jeux de pouvoir
Les films Pré-Code exploitent la douleur et la souffrance physique comme des éléments de tension dramatique et de fascination visuelle. Ces moments, souvent chargés d’un érotisme implicite, participent à une dynamique où la domination et la soumission sont centrales.
Le Signe de la Croix (1932) de Cecil B. DeMille est caractéristique avec ses scènes de martyrs chrétiens souffrant sous la domination des Romains. La mise en scène des chaînes, des fouets et des bêtes sauvages dans l’arène évoque des images de torture qui peuvent rappeler des pratiques sadomasochistes avec, comme lors de la période muette, l’alibi historique des persécutions chrétiennes.
L’accent est souvent mis sur le spectacle visuel de la souffrance : des corps étirés, attachés ou soumis à des épreuves extrêmes, avec un regard presque voyeuriste. Le martyre des femmes chrétiennes est souvent esthétisé : leurs poses, souvent vulnérables mais dignes, soulignent la beauté et la sensualité même dans la souffrance.
Dans L’Ile du Dr Moreau (1932), Charles Laughton incarne un scientifique sadique qui torture les créatures hybrides qu’il a créées, explorant des dynamiques de contrôle psychologique et physique. Ces créatures subissent des traitements humiliants, souvent enchaînées ou soumises à des expériences cruelles.
Les captives féminines, comme Lota la femme-panthère, sont souvent montrées dans des positions de soumission, parfois de manière physique, avec des cages et des contraintes symboliques, soulignant une tension entre souffrance et sensualité.
Dans des films comme Tarzan l’Homme Singe (1932), les scènes où les héros ou héroïnes sont attachés ou fouettés participent d’une esthétique de la domination brutale. La vulnérabilité des corps exposés face à des figures d’autorité renforce la charge émotionnelle et, parfois, sexuelle de ces moments.
L’humiliation psychologique et la manipulation
La souffrance dans le cinéma Pré-Code ne se limite pas au physique : l’humiliation psychologique est un thème récurrent, souvent lié aux relations de pouvoir et à la domination sociale ou sexuelle.
Dans Baby Face (1933), Barbara Stanwyck joue une femme qui subit initialement des humiliations liées à sa condition sociale et économique. Ces expériences alimentent sa détermination à inverser les rôles, mais son ascension passe également par des moments où elle manipule et humilie ses partenaires masculins.
Le déclassement social peut aussi se traduire par une humiliation publique. Les films sur les personnages féminins déchus, comme Sadie Thompson (1928) ou The Story of Temple Drake (1933), mettent en scène des femmes ostracisées, souvent exposées à des humiliations publiques. La souffrance morale et l’opprobre social deviennent des moteurs narratifs puissants.
Dans Call Her Savage (1932), Clara Bow incarne une femme passionnée mais constamment rabaissée par son entourage, notamment en raison de sa sexualité libre. Dans une scène marquante, elle est fouettée par un partenaire masculin dans un moment de tension qui mélange conflit et charge sexuelle.
L’humiliation publique de personnages féminins pour leurs choix sexuels ou leur comportement est un thème récurrent, soulignant les dynamiques de contrôle patriarcal.
La contrainte et les accessoires d’humiliation
La contrainte physique est un thème récurrent dans le cinéma Pré-Code. Ces représentations, bien qu’intégrées dans des contextes variés (aventure, drame, exotisme ou religion), sont fréquemment érotisées ou esthétiquement stylisées.
Les chaînes et les cordes, associées à des scènes de captivité, symbolisent à la fois la contrainte physique et la domination exercée sur le personnage captif. Les tenues moulantes ou partiellement dénudées des personnages féminins captifs ou humiliés mettent en avant leur vulnérabilité tout en accentuant leur objectification.
King Kong (1933) en est un exemple emblématique. L’héroïne Ann Darrow, interprétée par Fay Wray, est capturée par les indigènes pour être offerte à Kong. Ligotée et attachée sur l’autel sacrificiel, elle est immobilisée dans une posture qui met en valeur sa vulnérabilité. La mise en scène insiste sur son exposition, avec des gros plans sur ses mains liées et son expression de peur, renforçant une tension dramatique et visuelle. Les cordes et les nœuds qui maintiennent Ann immobilisée rappellent des éléments de bondage, bien que présentés dans un contexte « exotique ».
Plus tard, les chaînes utilisées pour retenir Kong à New York font écho aux cordes qui attachaient Ann à l’autel sacrificiel et créent un parallèle visuel entre les deux personnages. Cette symétrie renforce l’idée que tous deux sont, à leur manière, pris au piège dans des rôles imposés par leur environnement.
La souffrance collective
Les luttes de classes ou les récits de groupes opprimés offrent également des cadres où la souffrance et l’humiliation sont représentées comme des expériences universelles.
Je suis un Evadé (1932) illustre la souffrance physique et morale des prisonniers forcés à travailler dans des conditions inhumaines. Les scènes de punition collective et d’humiliation publique dénoncent l’injustice tout en exploitant la charge émotionnelle de ces situations. Les gros plans sur les visages ou les corps souffrants amplifient l’impact émotionnel.
Les chaînes, les fouets, ou même les cages deviennent des métaphores visuelles de la captivité ou de la soumission.
Dans L’Ile du Dr Moreau (1932), les créatures hybrides portent des chaînes, accentuant leur statut de victimes dans une hiérarchie oppressive.
Tous ces films invitent le spectateur à adopter une position ambiguë face à la souffrance et à l’humiliation. La mise en scène de la souffrance physique ou émotionnelle est parfois conçue pour captiver ou séduire, exploitant le voyeurisme et l’attrait pour l’interdit. Mais le spectateur peut aussi s’identifier aux personnages humiliés ou souffrants.
La liberté créative de la période Pré-code a permis d’explorer la souffrance et l’humiliation sous des formes variées, parfois ouvertement critiques, parfois esthétisées ou érotisées. Ces représentations jouent sur les tensions entre domination et soumission, pouvoir et vulnérabilité, offrant un cadre riche pour les spectateurs modernes intéressés par les sous-entendus BDSM ou par l’analyse des relations de pouvoir au cinéma.
c. L’esthétique des costumes et des accessoires
Les costumes et accessoires dans le cinéma Pré-Code ne sont pas seulement des éléments esthétiques : ils participent activement à la narration et à la construction des dynamiques de pouvoir. Qu’il s’agisse de robes sensuelles, d’uniformes imposants ou de chaînes symboliques, ces choix visuels amplifient les thèmes de domination, de souffrance, et de rébellion qui traversent cette période.
Les costumes révélateurs : érotisme et transgression
Les vêtements, souvent audacieux pour l’époque, mettent en avant la sensualité des personnages tout en reflétant leur personnalité ou leur statut social.
Les tenues androgynes portées par des actrices comme Marlene Dietrich (Morocco, 1930) ou Greta Garbo (La Reine Christine, 1933), incarnent une sensualité affirmée qui peut évoquer le fétichisme.
Les femmes séductrices sont souvent dans des robes transparentes et légères. Les tissus fluides, souvent en satin ou en mousseline, accentuent les courbes du corps féminin. Ces robes mettent en lumière une esthétique sensuelle tout en symbolisant la liberté des mœurs. Par exemple Jean Harlow dans Red-Headed Woman (1932) arbore des tenues moulantes et scintillantes, renforçant son rôle de femme fatale.
La mode des robes courtes ou fendues a permis de mettre en avant une féminité active et décomplexée. Les danseuses et chanteuses des films musicaux Pré-Code, comme celles de 42nd Street (1933), portent souvent des costumes qui attirent l’attention sur leurs jambes.
La lingerie devient parfois un costume à part entière, renforçant une érotisation explicite. Dans Night Nurse (1931), Barbara Stanwyck et Joan Blondell sont montrées en sous-vêtements dans des scènes intimes, accentuant leur rôle de femmes contrôlant leur image.
Les accessoires de pouvoir et de séduction
Les bijoux ostentatoires ou autres accessoires portés par les personnages renforcent leur statut, leur personnalité ou leur domination.
Les colliers, bracelets et diadèmes symbolisent le luxe, le pouvoir et parfois la domination. Une héroïne riche ou manipulatrice se distingue souvent par des accessoires somptueux. Par exemple Marlene Dietrich dans Shanghai Express (1932) porte des bijoux imposants, suggérant une indépendance financière et émotionnelle.
Les personnages féminins fument souvent de manière théâtrale, utilisant le porte-cigarette comme un outil de séduction ou de domination, comme Bette Davis dans Cabin in the Cotton (1932) où elle incarne une femme sophistiquée et insouciante.
Les chapeaux, parfois extravagants, servent à accentuer la stature ou la distinction d’un personnage, comme les coiffes des patriciennes romaines qui rappellent le pouvoir hiérarchique et l’opulence dans Le Signe de la Croix (1932).
Les costumes de domination et de soumission
Les dynamiques de pouvoir, souvent montrées de manière sous-jacente, se retrouvent dans la symbolique des costumes et des accessoires.
Un film comme Madame Satan (1930) de Cecil B. DeMille inclut des séquences où des personnages en costumes provocants (masques, corsets, cuir) dansent ou se battent dans des environnements opulents. Cette fête masquée plonge les personnages dans un univers où les costumes et les interactions ritualisées évoquent des jeux de rôle fétichistes. C’est le cas en particulier du costume de Satan porté par l’héroïne Kay Johnson, qui mêle séduction et menace.
Si les hommes portaient généralement des costumes sobres, ces vêtements sont utilisés pour souligner des contrastes de pouvoir et de statut. Les hommes riches et puissants, par exemple ceux des films de gangsters comme Scarface (1932), arborent des costumes élégants avec des cravates impeccables, signifiant leur autorité.
Les figures d’autorité, comme les Romains dans Le Signe de la Croix (1932), portent des uniformes imposants, souvent agrémentés d’armures ou de capes pour souligner leur domination.
À l’opposé, les hommes dans des situations d’humiliation ou de souffrance sont souvent dépeints dans des vêtements déchirés ou en haillons, soulignant leur vulnérabilité. Dans Je suis un Evadé (1932), les uniformes de prisonniers renforcent visuellement l’idée d’une oppression totale.
Les robes modestes de figures féminines dans des films comme Sadie Thompson (1928) renforcent la perception d’une femme persécutée mais résiliente.
d. La sexualité marginale et transgressive
La sexualité marginale et transgressive occupe une place centrale dans le cinéma Pré-Code, une période où Hollywood s’aventure dans des représentations audacieuses, défiant les normes morales et sociales. Ce climat de liberté relative permet d’explorer des thèmes qui ne réapparaîtront souvent qu’implicitement après l’instauration du Code Hays. Ces films mettent en lumière des pratiques et des relations considérées comme taboues à l’époque, qu’elles soient liées à la sexualité féminine, à des relations extraconjugales, à des identités homosexuelles ou à des dynamiques de domination et de soumission.
L’émancipation sexuelle féminine
Les films Pré-Code mettent en avant des femmes qui revendiquent leur liberté sexuelle, souvent perçues comme transgressives pour l’époque.
Les femmes fatales, comme Barbara Stanwyck dans Baby Face (1933) utilisent leur sexualité comme un outil de pouvoir. Le personnage de Lily manipule les hommes pour gravir les échelons sociaux et économiques, refusant de se conformer à un rôle passif.
De même Jean Harlow dans Red-Headed Woman (1932) explore des relations adultères et s’affirme en dehors des conventions maritales.
Contrairement à ce qui se passe à d’autres époques, ces personnages ne sont pas punis de manière systématique pour leur comportement, ce qui en fait des figures révolutionnaires.
Adultère et polyamour
Le cinéma Pré-Code présente des relations amoureuses complexes, souvent marquées par l’infidélité ou les arrangements informels.
La Divorcée (1930) avec Norma Shearer est emblématique : une femme trompée choisit de se venger en vivant sa propre liberté sexuelle, remettant en cause les normes patriarcales du mariage.
Dans Sérénade à Trois (1933) d’Ernst Lubitsch, une femme (Miriam Hopkins) entretient des relations intimes avec deux hommes, sans qu’une jalousie destructrice n’intervienne. Ce scénario normalise, avec légèreté, une dynamique polyamoureuse.
L’homosexualité
Malgré les tabous, la période Pré-Code explore aussi des représentations queer, bien que souvent codées ou ambiguës.
Les personnages féminins dans des tenues androgynes ou adoptant des comportements masculins jouent souvent avec les frontières des genres et des orientations sexuelles. L’ambiguïté sexuelle est souvent présente dans les personnages incarnés par Marlene Dietrich et Greta Garbo (elles-mêmes bisexuelles dans leur vie privée). Dans Morocco (1930), Marlene vêtue d’un smoking masculin, flirte ouvertement avec une autre femme dans une des scènes les plus explicites de cette époque. Et dans La Reine Christine (1934), Greta a clairement une liaison, y compris avec scène de jalousie, avec sa dame d’atours.
L’homosexualité masculine n’apparaît pas aussi clairement, mais des films comme Call Her Savage (1932) incluent des personnages masculins efféminés, souvent dans des rôles secondaires, qui reflètent les anxiétés ou les curiosités autour des normes de masculinité. Dans ce drame audacieux, Clara Bow assiste même à une fête dans un bar gay, où des couples de même sexe dansent ensemble, offrant ainsi un aperçu direct de la culture LGBTQ+ de l’époque. Dans The Broadway Melody (1929), un costumier efféminé est clairement codé comme homosexuel, avec des manières flamboyantes et un langage corporel stéréotypé.
La prostitution et le commerce du sexe
La prostitution est représentée de manière explicite dans de nombreux films Pré-Code, souvent sous un angle humanisant ou critique.
Dans Blonde Venus (1932), Marlene Dietrich joue une femme contrainte de se prostituer pour subvenir aux besoins de son enfant. Le film ne la condamne pas pour ses choix mais explore les dilemmes moraux qu’ils posent.
De nombreuses stars incarnent des prostituées qui sont présentées sans jugement de valeur et sans stigmatisation, mais au contraire comme des femmes indépendantes et pragmatiques : Gloria Swanson dans Sadie Thompson (1928), Jean Harlow dans La Belle de Saïgon (1932), Mae Clarke dans Waterloo Bridge (1931), Dorothy Mackaill dans Safe in Hell (1931), Marlene Dietrich dans Agent X27 (1931) ou Shanghai Express (1932). Dans Night Nurse (1931), Barbara Stanwyck incarne une infirmière exposée aux bas-fonds de la société, où les femmes vendent leur corps dans des situations désespérées.
Les films Pré-code représentent ces femmes marginalisées avec une humanité et une complexité émotionnelle qui défient les normes sociales de l’époque. Loin de se limiter à des caricatures ou des jugements moralisateurs, les personnages féminins de ces récits incarnent la résilience, l’ingéniosité et parfois même le pouvoir dans un monde oppressif.
Le BDSM et les dynamiques de pouvoir
On l’a vu, le cinéma Pré-Code offre un terrain fertile pour des représentations implicites et explicites de dynamiques de pouvoir qui peuvent être associées à des thématiques BDSM. Bien que le terme lui-même ne soit pas utilisé à l’époque, les notions de domination, de soumission, de contrainte, de douleur et de plaisir entrelacés apparaissent dans plusieurs films sous des formes souvent voilées par des métaphores ou des esthétiques stylisées.
Ainsi, les représentations de captivité ou de contraintes physiques, bien qu’elles servent souvent un propos dramatique, possèdent une charge érotique qui peut évoquer le BDSM.
Dans Le Signe de la Croix (1932), les scènes de captivité des martyrs chrétiens (attachés ou enchaînés) sont mises en scène de manière visuellement stylisée, accentuant la vulnérabilité des corps. Ces images, tout en représentant la souffrance, véhiculent une esthétique érotisée. Les personnages féminins en particulier sont soumis à des tortures ou des situations humiliantes. Les personnages menottés, souvent des femmes, sont filmés avec une attention particulière sur leur vulnérabilité et leur soumission, rendant ces scènes ambivalentes.
Bien que cela soit justifié narrativement par le contexte historique ou religieux, ces scènes sont souvent érotisées, notamment à travers les costumes révélateurs et les postures des victimes.
De manière similaire, les films d’aventure comme Tarzan l’Homme-Singe (1932) incluent des scènes où Jane (Maureen O’Sullivan) est capturée par des indigènes et attachée pour être offerte en sacrifice. Les cordes, les nœuds et la mise en scène de sa vulnérabilité créent une charge érotique implicite, renforcée par la posture et les angles de caméra qui insistent sur son immobilité et son exposition.
Le fouet est un accessoire récurrent dans les films d’aventure ou bibliques. Kongo (1932), film extrêmement audacieux pour l’époque, montre des scènes de domination brutale où les fouets sont utilisés comme outils de contrôle. Les punitions infligées par le personnage tyrannique joué par Walter Huston sont autant des actes de violence que des manifestations de pouvoir sadique.
Dans les films de Cecil B. DeMille, les tyrans utilisent souvent des outils de contrainte (fouets, chaînes, colliers), et ces scènes sont filmées avec un soin esthétique qui attire l’attention sur les interactions entre le dominateur et le dominé.
Les choix de costumes et d’accessoires fétichistes accentuent également les thèmes BDSM de manière subtile. Bien que le cuir soit rarement utilisé directement, les corsets serrés et les chaussures à talons hauts sont des éléments récurrents qui évoquent un contrôle sur le corps et une esthétique fétichiste.
Les masques et autres accessoires cachant le visage, comme dans Madame Satan où, lors de la séquence masquée, certains personnages se retrouvent dans des situations où ils sont physiquement immobilisés ou limités, renforçant une esthétique de soumission dans un contexte théâtral et fétichiste.
Une caractéristique forte de la période Pré-code est une morale ambiguë. Contrairement à ce qui se passera ensuite, les personnages qui incarnent des dynamiques de domination ou de soumission ne sont pas nécessairement punis pour leurs comportements. De même, les héroïnes qui manipulent les hommes n’ont pas nécessairement à en subir les conséquences, ce qui laisse place à des représentations de domination féminine plus affirmées.
e. Les pratiques BDSM suggérées dans les dialogues et la mise en scène
Dans le cinéma Pré-Code, les pratiques BDSM sont rarement mentionnées explicitement, mais elles sont souvent suggérées par les dialogues, la mise en scène, et les sous-entendus narratifs. Ces suggestions subtiles reflètent une époque où les restrictions formelles étaient moins rigoureuses qu’après l’instauration du Code Hays, mais où l’audace devait encore jouer avec les limites de l’acceptable.
Les dialogues comme vecteurs d’ambiguïté
Les dialogues permettent toutes les ambiguïtés, beaucoup plus que les intertitres du cinéma muet. On assiste donc à l’utilisation de dialogues suggestifs (notamment ceux de Mae West) et de sous-entendus visuels qui laissaient libre cours à l’imagination du spectateur. Les scénaristes du cinéma Pré-Code utilisent ainsi un langage double, mêlant insinuations et euphémismes, pour évoquer des pratiques BDSM sans les nommer.
Dans Baby Face (1933), Barbara Stanwyck utilise des phrases qui soulignent son contrôle sur les hommes, comme lorsqu’elle manipule les cadres masculins avec des remarques sur leur faiblesse ou leur besoin d’elle.
Red-Headed Woman (1932) contient aussi des dialogues où Jean Harlow rabaisse ses partenaires masculins, adoptant une posture verbale dominante.
Dans Le Signe de la Croix (1932), des références à la souffrance des martyrs chrétiens, comme « endurer le feu pour leur foi », prennent une connotation ambiguë lorsqu’elles sont associées à des images érotisées.
Les dialogues dans Kongo (1932) incluent des mentions voilées de « discipline » et de « contrôle », qui font écho aux pratiques BDSM.
La mise en scène comme langage implicite
La manière dont les personnages interagissent physiquement ou sont encadrés par la caméra suggère souvent des dynamiques BDSM, notamment par des postures de domination et de soumission. Les personnages féminins, en particulier, sont souvent filmés de manière à souligner leur pouvoir sur les hommes. Par exemple, dans Shanghai Express (1932), Marlene Dietrich se tient au-dessus de ses partenaires masculins, souvent en leur parlant sur un ton autoritaire.
À l’inverse, les personnages masculins peuvent être montrés dans des postures de vulnérabilité, agenouillés, attachés ou physiquement restreints, comme dans L’Ile du Dr Moreau (1932).
Les regards prolongés ou dominants jouent un rôle crucial. Dans Morocco (1930), Marlene Dietrich fixe intensément ses partenaires, établissant une dynamique de contrôle psychologique. La caméra, en jouant sur le regard voyeuriste, met en scène des relations où la vulnérabilité d’un personnage devient un objet de fascination.
Dans Tarzan l’Homme Singe (1932), la scène où Jane est capturée et attachée par des indigènes suggère une mise en scène de la contrainte physique. La menace de violence physique sur Jane est accompagnée de plans sur son visage, capturant une tension mêlant peur et fascination. Ces scènes, justifiées par l’intrigue, incluent des éléments visuels liés au BDSM, comme les cordes, les nœuds et les postures.
f. La fin du Pré-code et le code Hays
En juillet 1934, l’application stricte du Code Hays est imposée sous la pression des organisations religieuses et conservatrices, comme la Ligue de la Décence, qui dénonçaient l’immoralité perçue des films. De plus, dans la période de crise économique de la Grande Dépression, Hollywood voulait éviter de perdre le soutien des spectateurs les plus conservateurs.
Joseph Breen est alors nommé à la tête du bureau de censure, et son contrôle rigoureux met fin à l’ère Pré-Code.
Mais l’héritage de l’ère Pré-Code est considérable : les thèmes abordés pendant cette période restent d’une étonnante modernité et résonnent encore aujourd’hui. Les films Pré-Code sont une source d’inspiration pour les cinéastes qui osent défier les normes, explorant des histoires plus complexes et des personnages plus humains.