Dans « Le Petit Carnet Perdu« , Jeanne de Berg* abandonne le fil narratif traditionnel pour offrir une collection de fragments personnels, semblant issus d’un journal intime clandestin. Chaque annotation, chaque réflexion, constitue une explosion d’érotisme subtil, capturant un moment de désir où l’art de la soumission se combine à la poésie des sensations.
On retrouve l’univers codifié et esthétique de l’auteure : des silhouettes féminines vêtues de cuir ou de soie, des gestes soigneusement mesurés, des silences chargés de promesses… Cependant, tout ici est compressé, presque murmuré, comme si le lecteur parcourait discrètement un carnet réservé aux privilégiés.
« Le Petit Carnet Perdu » est une œuvre littéraire précieuse : un mélange d’intimité et de rite, où l’on apprécie la force du non-dit tout autant que celle des mises en scène. Un livre à lire comme on caresse une peau nue : lentement, pour prolonger le frisson.
* Jean de Berg / Jeanne de Berg :
Derrière les identités de Jean de Berg et Jeanne de Berg se trouve une seule et même autrice : Catherine Robbe-Grillet, une figure à la fois discrète et captivante du monde littéraire français. Si elle a opté pour un pseudonyme, ce n’est pas par vanité, mais par nécessité.
En 1956, avec la publication de L’Image sous le nom de Jean de Berg, le contexte social et judiciaire en France est encore très contraignant : l’érotisme explicite est soumis à surveillance, parfois saisi, et son autrice, épouse du romancier et réalisateur Alain Robbe-Grillet, désire éviter d’exposer sa vie personnelle et de compromettre la carrière publique de son mari.
Le pseudonyme s’impose alors comme un masque, mais également comme un moyen de liberté. Sous cette identité, Catherine peut explorer sans restriction les thèmes de la domination, du désir, des mises en scène sensuelles et des rituels imaginaires. Des décennies plus tard, lorsqu’elle publie Cérémonies de femmes ou Le Petit carnet perdu sous le nom de Jeanne de Berg, c’est toujours la même voix, mais révélée dans un cadre plus libéré, où la littérature érotique commence à être reconnue comme un genre à part entière.
En filigrane, ces deux noms illustrent également l’histoire d’une époque : celle où l’érotisme féminin devait se dissimuler pour mieux s’exprimer, et celle où cet érotisme ose maintenant se montrer au grand jour.