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Le BDSM et la domination au Cinéma

Portier de nuit

Sortie : 1974
Affiche du film Portier de nuit

Présentation officielle / Extrait

Titre original : Il portiere di notte
Réalisation : Liliana Cavani
Sortie : 1974

Synopsis

L’histoire se déroule à Vienne en 1957, après que les troupes d’occupation alliées ont quitté la ville. Maximilian Theo Aldorfer dit Max (Dirk Bogarde), ancien officier SS médecin dans un camp de concentration, est portier de nuit dans un hôtel proche de l’Opéra populaire de Vienne, fréquenté par d’anciens camarades nazis, aux prises comme Max, avec des poursuites judiciaires. Ils cherchent à identifier et à éliminer d’éventuels témoins.

Lucia Atherton (Charlotte Rampling) et son époux chef d’orchestre prennent une chambre dans cet hôtel. Max reconnaît immédiatement en elle une déportée avec qui il a eu une liaison sadomasochiste pendant la guerre. Elle est donc un témoin potentiel contre lui et contre les autres nazis. Lucia le reconnaît aussi, et se remémore les circonstances de leur rencontre, lorsqu’il faisait des expériences sur les déportées, expériences dont elle est la seule survivante.

Troublée, elle veut quitter Vienne immédiatement, mais son mari la fait venir à la représentation de la Flûte Enchantée, à laquelle assiste aussi Max. Elle change d’avis et reste à Vienne pendant que son mari poursuit sa tournée. Max fait irruption dans sa chambre, la frappe en lui demandant si elle a l’intention de le dénoncer. Cette violence réveille sa passion pour lui et elle redevient la maîtresse de son ancien bourreau.

Lucia quitte l’hôtel pour l’appartement de Max, et ils revivent leurs rituels d’autrefois. Les nazis pressent Max de se débarrasser de celle qui est un témoin dangereux, mais Max assassine au contraire Mario, un ancien détenu qui a reconnu Lucia. Il se confie à la comtesse Stein, une cliente de l’hôtel, et lui raconte une scène où Lucia chantait une chanson de Marlene Dietrich en uniforme nazi mais les seins nus, et où il lui a offert la tête d’un détenu qui l’importunait, telle Hérode à Salomé.

Max quitte son travail à l’hôtel et s’enferme chez lui avec Lucia. Ils sont surveillés par les nazis, qui les empêchent de se faire approvisionner. Au bout d’un long siège, épuisés et affamés, Max et Lucia essaie de s’enfuir de nuit. Suivis par les nazis, ils sont abattus sur le pont.

Commentaires

La relation entre Lucia et Max pourrait être perçue comme sadomasochiste, car elle inclut des éléments de domination, de soumission et de souffrance. Cependant, le terme « sadomasochiste » dans ce contexte est problématique, car il décrit habituellement des pratiques consenties, alors que dans le film, la relation entre Lucia et Max est empreinte de traumatismes de guerre, de manipulation psychologique, et d’un passé de violence extrême et non consensuelle.

Leur relation semble plus un prolongement du pouvoir psychologique de Max sur Lucia, lié aux horreurs vécues pendant la guerre, qu’une exploration de la sexualité sadomasochiste dans un sens conventionnel. Lucia est en effet à la fois attirée et répulsée par Max, mais il est difficile de savoir si son comportement actuel relève d’un choix conscient ou s’il est une conséquence du traumatisme et de la peur qu’elle a intériorisés.

Le BDSM joue donc un rôle central et est traité de manière complexe et troublante. Ici, il n’est pas une simple expression de fantasmes ou de plaisir érotique, mais un véhicule pour explorer des thèmes de traumatisme, de culpabilité, et de rédemption impossible. La relation entre Lucia et Max oscille entre la souffrance psychologique et physique, ainsi qu’une sorte de dépendance mutuelle morbide. Elle semble parfois volontaire, presque complice, tout en étant profondément marquée par les abus et la violence. Les scènes de flashbacks en noir et blanc montrent Lucia dans des tenues et poses suggestives, jouant avec la provocation et la peur, ce qui symbolise le pouvoir psychologique que Max exerçait sur elle et l’ambiguïté de sa soumission.

Dans l’ensemble, le BDSM dans Portier de Nuit n’est pas tant une exploration de la sexualité que de la dynamique de pouvoir qui découle de la guerre, du traumatisme, et des relations dévastatrices. Cavani met en avant le paradoxe de l’attirance-répulsion de Lucia envers son ancien bourreau, posant des questions troublantes sur le consentement, le désir et les zones grises de la moralité.

L’une des critiques faites au film est d’assimiler nazisme et sadomasochisme. Mais le nazisme était en partie cela, se fondant sur une érotisation, une théâtralisation du pouvoir déjà relevée par Genet, ainsi qu’une obsession esthétisante de la violence chez les SS. Susan Sontag note la prédilection des dirigeants fascistes pour les métaphores sexuelles appliquées à l’exercice du pouvoir, parlant de « viol » des masses populaires. Volontairement ou non, Cavani se sert du sadomasochisme comme d’une parabole dérangeante sur le consentement de ceux sur qui la violence s’exerce, qu’elle soit individuelle ou d’état. En clair, elle évoque une certaine contamination par le mal, par attrait pour celui-ci et par tentation d’abandonner ses libertés individuelles dans une société où l’individualisme se fait pesant.