Synopsis
Le Fantôme de la liberté est un film surréaliste qui se compose d’une série de vignettes déconnectées, mais thématiquement liées, à la manière des cadavres exquis. Il commence avec une scène se déroulant pendant la guerre d’Espagne au début du XIXe siècle, où des soldats napoléoniens fusillent des résistants espagnols.
Cette histoire était racontée par la bonne du couple Foucauld. Echappant à sa surveillance, la fille des Foucauld, Véronique a suivi un inconnu qui lui a offert une série de cartes postales. Les parents, à qui la jeune fille remet les photos, sont horrifiés en regardant ces clichés. Il s’agit de monuments célèbres, notamment le Sacré-Cœur de Paris, considéré par le couple comme le plus obscène.
Diverses séquences s’enchaînent alors. Une petite fille « disparaît », mais elle est en réalité bien présente. Ses parents se rendent à la police pour signaler sa disparition, et malgré le fait que la petite fille soit là, juste à côté d’eux, les autorités mènent une enquête comme si elle était invisible. Ensuite une autre séquence présente un groupe de bourgeois réunis autour d’une table de salle à manger. Ils sont assis sur des toilettes et discutent tranquillement, comme s’ils étaient à un dîner. Lorsqu’un des convives ressent le besoin de manger, il se retire dans une petite pièce privée, la salle à manger, pour manger en secret, comme s’il faisait quelque chose de honteux.
Une auberge isolée réunit différents personnages : des moines qui jouent aux cartes, un jeune homme en escapade avec sa tante dont il est amoureux, un chapelier et son assistante qui se livre à des activités sadomasochistes. Plus tard, un homme, se trouvant sur un toit, tire au hasard sur des passants. Après avoir été arrêté, jugé et reconnu coupable, il est libéré immédiatement.
Commentaires
Le Fantôme de la liberté est un film profondément anti-narratif et anti-conventionnel, où Buñuel s’attaque aux institutions et aux normes sociales à travers un prisme surréaliste. Chaque séquence semble défier la logique tout en présentant une critique acerbe de la société, en particulier celle de la bourgeoisie, attaquant les conventions sociales, les tabous, et les institutions comme la religion, la police, la famille et la justice.
Dans une des scènes les plus commentées du film, le chapelier, un personnage bourgeois (Michael Lonsdale), invite les hôtes de l’auberge à poursuivre leur soirée dans sa chambre. Il ressort alors de la salle de bain attenante avec sa compagne toute vêtue de cuir, portant lui-même un pantalon troué au niveau des fesses, pour se faire fouetter par celle qu’il nomme sa « rombière » en gueulant des insanités (« Fouette-moi ! Je suis pourri ! Je suis lépreux ! ») devant l’assemblée qui quitte rapidement les lieux. Il les supplie de rester : « Attendez, ne partez pas ! Que les moines restent au moins ! ».
Dans le BDSM, les rôles de domination et soumission sont une exploration consentie du pouvoir et de la vulnérabilité, souvent chargée d’une grande intensité émotionnelle et physique. Mais chez Buñuel, cette intensité est délibérément vidée de sa charge dramatique. La scène est froide, presque clinique, et les personnages semblent émotionnellement détachés de ce qu’ils font.
Plutôt que de représenter le BDSM comme une pratique transgressive ou perverse, Buñuel le montre comme une autre facette de la routine bourgeoise, quelque chose d’aussi banal que de dîner ou de s’habiller.
L’esprit du BDSM se retrouve, de manière plus subtile, dans d’autres scènes qui mettent en scène des dynamiques de pouvoir, de domination et de soumission, mais sous des formes symboliques ou métaphoriques. Buñuel joue en effet constamment avec les inversions de pouvoir et la remise en question des conventions sociales, ce qui résonne profondément avec les thèmes centraux du BDSM, même si cela n’est pas aussi directement lié à la sexualité que dans la scène de fouet.
La scène du dîner inversé, où les invités d’un dîner bourgeois s’installent sur des toilettes autour d’une table, discutant calmement comme s’ils étaient dans une situation parfaitement normale. Cette inversion des tabous peut être vue comme une métaphore des jeux de pouvoir et de renversement des normes que l’on retrouve dans le BDSM, qui consiste souvent à jouer avec les attentes sociales et les tabous, en les renversant dans des espaces où les règles sont réécrites de manière consensuelle.
La scène de la « disparition » de la petite fille révèle une forme de domination symbolique, où les institutions (la police, les parents) exercent un pouvoir totalement déconnecté de la réalité. Dans un contexte BDSM, on retrouve parfois ce jeu de « visibilité » et « invisibilité », où le soumis peut être ignoré ou réifié par le dominant.
La scène du sniper, où un homme tire sur des passants au hasard puis est jugé et libéré malgré sa culpabilité, renvoie à l’absurdité de la justice et à l’impuissance des autorités à réguler la violence. L’homme qui, en théorie, devrait être puni pour ses actes, retrouve paradoxalement sa liberté, renversant encore une fois les attentes du public. Le système judiciaire fonctionne de manière aussi illogique que certaines pratiques sadomasochistes qui renversent les notions classiques de plaisir et de douleur, de récompense et de sanction.
En examinant le film dans son ensemble, on peut voir que le thème du BDSM imprègne Le Fantôme de la liberté sous une forme plus métaphorique, à travers des scènes qui soulignent les jeux de pouvoir, l’absurdité des normes sociales, et l’hypocrisie des rôles de domination et soumission dans la vie quotidienne.