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Contes de fées et BDSM

Indépendamment de leurs adaptations au cinéma ou en dessin animé, plusieurs auteurs et chercheurs ont exploré les liens entre BDSM et contes de fées, soit en analysant les dynamiques de pouvoir sous-jacentes aux récits traditionnels, soit en proposant des réécritures érotiques inspirées de ces histoires.

Quelques références d’études et analyses académiques sur BDSM et contes de fées :

Bruno Bettelheim – Psychanalyse des contes de fées (1976)

Bettelheim analyse les contes sous l’angle du développement psychosexuel et des épreuves initiatiques. Il met en avant les symboles liés aux interdits, aux punitions et aux désirs refoulés. Bien qu’il n’aborde pas directement le BDSM, il analyse les contes sous un prisme psychanalytique qui met en évidence des dynamiques de domination, de punition et de soumission qui peuvent être interprétées sous cet angle.

Jack Zipes – Les contes de fées et l’art de la subversion (1979)

Zipes examine comment les contes de fées ont servi à inculquer des normes de pouvoir et de soumission, y compris en ce qui concerne les rôles genrés.

Maria Tatar – The Hard Facts of the Grimms’ Fairy Tales (1987)

Tatar explore la violence, la contrainte et la domination dans les contes de Grimmen les mettant en perspective avec la construction des normes sociales et genrées, et en mettant en lumière des éléments pouvant être reliés au BDSM.

Clarissa Pinkola Estés – Femmes qui courent avec les loups (1992)

Son approche jungienne des contes met en avant des aspects initiatiques et des rapports de pouvoir qui peuvent être lus sous l’angle du BDSM.

Cristina Bacchilega – Postmodern Fairy Tales: Gender and NarrativeStrategies (1997)

Bacchilega analyse comment les contes réaffirment ou subvertissent lesdynamiques de domination, notamment à travers le genre et le pouvoir.

Kate Bernheimer – Fairy Tale as Myth/Myth as Fairy Tale (1998)

Elle examine comment les contes, en tant que mythes modernes, contiennent des éléments de coercition et de transgression.

 

Des approches philosophiques et culturelles plus générales :

Sigmund Freud – Totem et Tabou (1913) & Trois essais sur la théoriesexuelle (1905)

Freud ne parle pas directement des contes de fées, mais ses théories surl’inconscient, le complexe d’Œdipe et la pulsion de mort éclairent les dynamiques de pouvoir et de contrainte dans ces récits.

Carl Gustav Jung – L’Homme et ses symboles (1964) & Les Archétypes et l’inconscient collectif (1954)

Jung étudie les figures archétypales (l’Ombre, l’Anima, le Vieux Sage, etc.), qui se retrouvent dans les contes. Ses travaux sont utiles pour comprendre les rapportsde domination et de soumission.

Michel Foucault – Histoire de la sexualité (1976-1984)

Foucault analyse la manière dont le pouvoir s’exerce sur les corps et les désirs,ce qui éclaire les rapports de domination dans les contes de fées.

Gilles Deleuze – Présentation de Sacher-Masoch (1967)

Deleuze distingue le sadisme et le masochisme comme deux structures narratives distinctes. Il applique sa théorie à la littérature, ce qui permet de repenser des figures comme Barbe Bleue ou la Belle au bois dormant sous un prisme BDSM.

 

La psychanalyse des contes de fées offre un cadre particulièrement riche pour explorer les dynamiques de domination, de soumission et de plaisir dans la contrainte, des éléments qui résonnent fortement avec les codes du BDSM. En s’appuyant sur les travaux de Freud, Bettelheim, Jung ou encore Deleuze, on peut analyser la manière dont ces récits structurent des rapports de pouvoir ambigus et mettent en scène des initiations passant par la douleur, l’humiliation et la transformation.

Le conte de fées comme récit initiatique

Les contes de fées, en particulier ceux issus de la tradition européenne (Grimm,Perrault, Andersen), suivent souvent une structure initiatique où le héros ou l’héroïne subit des épreuves, parfois violentes, qui le conduisent à une transformation. Cette progression peut être rapprochée d’une dynamique BDSM où la soumission à l’autorité (parentale, royale, surnaturelle) est une étape vers une nouvelle identité.

Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées) voit dans les épreuves imposées aux héros une métaphore du passage à l’âge adulte et de la sexualité naissante.

Or, ces épreuves prennent souvent la forme de punitions, d’enfermements ou de mises à l’épreuve douloureuses, des situations qui peuvent être lues sous un prisme sadomasochiste.

Cendrillon subit l’humiliation et l’exploitation domestique avant d’être révélée dans toute sa gloire au prince.

Peau d’Âne est contrainte de se cacher sous une peau animale, une forme d’abaissement qui évoque le fétichisme et la soumission.

La Belle au bois dormant est soumise à un sommeil contraint, elle est réveillée passivement par un prince qui impose son désir.

Domination et soumission dans les figures archétypales

Dans de nombreux contes, une figure autoritaire impose des épreuves ou contrôle le destin du héros/héroïne. Cette figure peut être lue comme un Maître (Dom) dans une dynamique BDSM.

Barbe Bleue est un sadique qui impose à sa femme des interdits et la punit pour sa curiosité.

La marâtre de Blanche-Neige exerce une domination totale, symbolisée par les objets fétichisés (pomme, corset, miroir).

Le roi dans Peau d’Âne impose à sa fille son désir incestueux et une contrainte proche d’un schéma de domination extrême.

Inversement, de nombreuses héroïnes subissent une soumission extrême avant d’accéder à leur « triomphe ». Elles endurent des punitions corporelles (enfermement, travail forcé, humiliation), mais leur transformation passe par une forme de consentement progressif à l’autorité qui leur permet d’évoluer.

Cendrillon accepte sans révolte son asservissement, et finit par être récompensée, ce qui évoque le masochisme transformateur décrit par Deleuze dans Présentation de Sacher-Masoch.

 

Objets et symboles du BDSM dans les contes

Les contes sont remplis d’objets qui peuvent être interprétés comme des instruments de contrainte ou de fétichisation.

Le corset et le peigne de Blanche-Neige sont utilisés pour la contraindre physiquement. Dans La Belle et la Bête, les chaînes de la Bête inversent la dynamique, c’est le « dominant » qui est soumis. Les bottes de sept lieues sont une métaphore du contrôle du mouvement et du pouvoir.

D’autres objets sont fétichisés : le soulier de Cendrillon, objet de désir fétichiste, point de contact entre la soumise et son futur dominateur ; le miroir de Blanche-Neige, reflet narcissique, mais aussi symbole de surveillance et de domination ; le ruban rouge dans certains contes (ex. Barbe Bleue) : qui évoque le lien, voire une marque de possession.

 

Punition, plaisir et transformation : une lecture sadomasochiste

Dans les contes, l’héroïne est souvent réduite à l’impuissance, ce qui renforce son état de soumission. Mais cette soumission est un passage obligé vers le triomphe, ce qui correspond au schéma du masochisme où la souffrance est nécessaire à l’extase finale.

Bettelheim souligne que les punitions et épreuves sont souvent associées au développement sexuel (les interdits parentaux, les tabous, etc.).

Certains contes mettent en scène une figure « dominante » qui transforme l’innocente par l’épreuve. Dans La Belle et la Bête, Belle accepte progressivement l’autorité de la Bête. La Bête, pourtant le « maître », est en fait celui qui attend d’être aimé, ce qui crée une inversion des rôles BDSM.

Dans Peau d’Âne, la princesse se soumet à une humiliation totale (revêtir une peau d’animal) pour échapper à une autre forme de domination (l’inceste paternel). Sa renaissance passe par l’acceptation de sa condition inférieure avant sa révélation en tant que reine.

 

En conclusion, loin d’être de simples récits moraux pour enfants, les contes de fées regorgent de figures d’autorité sadiques, de soumissions masochistes et d’épreuves initiatiques qui résonnent avec les dynamiques BDSM.

Les héroïnes sont souvent humiliées, contraintes, dominées avant d’être récompensées. Les figures de pouvoir exercent un contrôle absolu, souvent accompagné de rituels et d’objets de domination. L’épreuve est une transformation par la douleur, un passage d’un état de soumission à une forme d’émancipation.

 

Une autre démarche intéressante est la réécriture des contes de fées dans un contexte BDSM :

Angela Carter – The Bloody Chamber (1979)

Un recueil de nouvelles qui revisite les contes de fées avec une forte charge érotique et sadomasochiste.Notamment dans La Chambre sanglante, variation de Barbe Bleue, où l’héroïne est soumise aux désirs d’un mari cruel.

Anne Rice – The Claiming of Sleeping Beauty (1983, sous le pseudonyme A.N. Roquelaure)

Une réécriture BDSM explicite de La Belle au bois dormant, où l’endormissement de l’héroïne est transformé en une initiation sexuelle et dominatrice.

Tanith Lee – Red as Blood, or Tales from the Sisters Grimmer (1983)

Une réinterprétation sombre et sensuelle de plusieurs contes de fées classiques, incluant des éléments de contrainte et de désir.

Mitchell and Karen MacKenzie – Fairy Tale Lust: Erotic Fantasies forWomen (2010)

Un recueil de nouvelles érotiques inspirées des contes, certaines mettant en scène des dynamiques de pouvoir proches du BDSM.

 

Ces réécritures modernes ne font finalement qu’expliciter les tensions de domination / soumission sous-jacentes.

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