Aller au contenu

Le BDSM et la domination au Cinéma

The Duke of Burgundy

Sortie : 2014
Affiche du film The Duke of Burgondy

Présentation officielle / Extrait

Titre original : The Duke of Burgundy
Réalisation : Peter Strickland
Sortie : 2014

Synopsis

Evelyn (Chiara D’Anna) rentre à la maison qu’elle partage avec Cynthia (Sidse Babett Knudsen), un vieux manoir au milieu de la forêt, rempli de collections de papillons. Cynthia reproche à Evelyn son retard, lui ordonne froidement d’accomplir toutes une série de tâches ménagères, et finalement de lui masser les pieds et de laver sa lingerie, ce que Evelyn accomplit avec dévotion. Cynthia n’est cependant pas satisfaite et punit Evelyn en lui urinant dans la bouche. Le soir Cynthia rejoint Evelyn dans leur grand lit et l’embrasse tendrement. Elles font l’amour, mais Evelyn exprime sa vénération pour Cynthia et la chance qu’elle a de lui appartenir.

Cynthia, chercheuse en lépidoptérologie, donne une conférence sur les sons émis par les papillons devant une assistance exclusivement féminine dont Evelyn fait partie. Au retour d’Evelyn, le même scénario se reproduit, mais il s’avère que Cynthia ne fait que suivre les instructions laissées par Evelyn. En fait elle préférerait pouvoir aimer Evelyn d’une manière plus classique, mais Evelyn ne trouve son plaisir qu’en étant rudoyée et menacée de châtiments.

Evelyn veut commander un lit spécial où elle serait enfermée sous le poids de Cynthia, mais les délais étant trop longs, elle opte pour un urinoir humain. L’objet doit être prochainement livré mais Evelyn demande à avoir la surprise. En attendant Cynthia ligote Evelyn et l’enferme dans un coffre, dont elle ne peut sortir qu’après avoir prononcé le safeword Pinastri (une espèce de papillon)…

Alors que Cynthia se plaint d’un mal de dos, Evelyn est de plus en plus exigeante, lui reprochant de ne pas bien s’habiller avec les vêtements qu’elle lui a offerts. Mais plus tard c’est Cynthia qui accuse Evelyn d’infidélité avec une autre femme : elle commence par nier avant d’avouer partiellement. Pour son anniversaire, Cynthia offre à Evelyn… les ingrédients pour faire un gâteau qu’elle déguste seule, les pieds sur le visage d’Evelyn, qui apprécie modérément ce cadeau.

Cynthia fait des cauchemars, où elle voit un squelette dans le coffre où Evelyn est enfermée, puis Evelyn marchant les yeux bandés au milieu d’une nuée de papillons. Lorsqu’elle revient dans la chambre, Evelyn demande à Cynthia de s’assoir sur elle, mais Cynthia est de plus en plus réticente à voir son rôle de dominatrice.

Un jour, au milieu de leur routine habituelle sur les tâches ménagères, Cynthia craque et dit à Evelyn qu’elle ne peut plus continuer ce jeu. Evelyn lui avoue son amour pour elle, et accepte de renoncer à ses demandes sadomasochistes. Mais la dernière scène la voit sonner à la porte du manoir comme au début de leur routine favorite…

Commentaires

The Duke of Burgundy (le nom d’une espèce de papillon) est un film envoûtant qui explore les dynamiques de pouvoir, l’intimité, et l’obsession au sein d’une relation BDSM entre deux femmes. Loin des représentations clichées de la sexualité, le film plonge dans la psychologie des personnages et les rituels du pouvoir et de la soumission, tout en restant extrêmement stylisé et visuellement somptueux. Contrairement à beaucoup d’autres œuvres qui traitent du BDSM, le film ne se contente pas d’une approche purement érotique ou sensationnaliste, mais s’engage dans une étude subtile et introspective du pouvoir, du désir, et des frontières émotionnelles au sein de cette relation.

Inversion des rôles de pouvoir : le BDSM dans The Duke of Burgundy fonctionne à plusieurs niveaux, en particulier sur le plan du contrôle. Evelyn, qui semble au début être la soumise dans leur relation, en est en fait la véritable instigatrice. Elle manipule les situations pour s’assurer que Cynthia la domine exactement comme elle le désire. Ce jeu de domination et soumission est donc beaucoup plus complexe qu’il ne paraît : la soumise est en réalité celle qui impose les règles, déstabilisant ainsi la dynamique traditionnelle du pouvoir dans les relations BDSM.

Cette inversion des rôles soulève la question de l’authenticité dans les relations de domination : jusqu’à quel point la domination est-elle réelle si elle est orchestrée par la soumise ? Le film interroge ainsi la frontière entre jeu et réalité, et montre que dans toute relation de pouvoir, la soumission peut aussi être une forme de contrôle.

Répétition rituelle et fatigue émotionnelle : le BDSM dans ce film est présenté sous un angle plus cérébral et psychologique, où le rituel joue un rôle fondamental. Chaque scène de soumission est méticuleusement orchestrée, presque comme une chorégraphie. Pourtant, ce rituel constant finit par lasser Cynthia, qui semble de plus en plus épuisée par le besoin incessant de satisfaire les désirs d’Evelyn.

Cela montre une autre facette du BDSM : la dynamique peut s’user émotionnellement si l’un des partenaires n’est plus en phase avec le rôle qu’il doit jouer. Pour Cynthia, la domination devient une contrainte, une obligation vide de sens personnel. Ainsi, le film met en lumière la complexité des relations BDSM, où le consentement et le plaisir peuvent parfois se désynchroniser.

L’illusion et la performance du désir : The Duke of Burgundy joue aussi sur la question de la performance dans les relations BDSM. Evelyn désire que Cynthia incarne un rôle spécifique, ce qui place une pression constante sur Cynthia pour « performer » la dominatrice. Cela soulève des interrogations sur la sincérité des rôles joués dans une relation BDSM.

Le film montre que ce n’est pas simplement une question de plaisir physique, mais aussi d’atteindre une certaine vision idéalisée de la relation. La performance du désir peut donc devenir un piège, où les partenaires se perdent dans des attentes irréalistes. Le film présente ce dilemme à travers la lente désillusion de Cynthia, qui ne parvient pas à être la dominatrice que désire Evelyn.

Sensualité et esthétique visuelle : l’esthétique du film est également essentielle dans l’exploration du BDSM. Strickland met en scène un univers visuel très stylisé, rappelant les films érotiques des années 70, mais en évitant la nudité explicite ou la violence excessive. La maison où vivent Cynthia et Evelyn, remplie de papillons épinglés et de textiles luxueux, devient une métaphore du contrôle et de la captivité. Chaque scène est filmée avec une sensualité palpable, mais le film privilégie la tension psychologique et l’atmosphère envoûtante plutôt qu’une représentation crue du BDSM.

L’accent mis sur les rituels quotidiens (vêtements, nettoyage, soumission) accentue la nature cyclique de la relation, transformant les moments de domination et soumission en une danse répétitive, mais étouffante.

La fragilité des relations BDSM : finalement, The Duke of Burgundy montre la fragilité des relations BDSM quand elles ne sont pas équilibrées ou pleinement consensuelles sur le plan émotionnel. Bien que les pratiques BDSM reposent sur des dynamiques de pouvoir, le film illustre que ces dynamiques doivent être continuellement négociées, réévaluées et comprises par les deux partenaires pour qu’elles restent saines. Le film démontre que le désir, en particulier dans le contexte du BDSM, peut être aussi destructeur que libérateur.