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Le BDSM et la domination au Cinéma

La Vénus à la fourrure

Sortie : 2013
Affiche du film Venus in Fur - La Vénus à la fourrure

Présentation officielle / Extrait

Titre original : Venus in Fur
Réalisation : Roman Polanski
Sortie : 2013

Synopsis

Dans un théâtre parisien, le metteur en scène Thomas Novachek (Mathieu Amalric) désespère de trouver son interprète de Wanda pour l’adaptation qu’il prépare de La Venus à la Fourrure de Sacher-Masoch. Une jeune femme nommée Vanda Jourdain (Emmanuelle Seigner) fait irruption après la fin des auditions, échevelée après avoir couru sous la pluie. Thomas commence par refuser de l’écouter mais elle obtient finalement une audition immédiate.

Vanda est vulgaire et inculte mais spontanée et pleine d’énergie. Elle s’installe au centre de la scène représentant une auberge de l’empire austro-hongrois. Elle interprète son texte avec une perfection inattendue pendant que Thomas peine à se concentrer. La scène est la première rencontre entre Wanda et le professeur Kouchemsky, où Wanda détecte immédiatement le goût du professeur pour la fourrure et sa tendance à la soumission.

Thomas s’excuse pour les insuffisances de son jeu, mais Vanda le félicite au contraire et s’enthousiasme pour sa mise en scène. Ils reprennent. Kouchemsky raconte la scène originelle où sa tante l’a fouetté alors qu’il était couché sur sa fourrure, et proclame que depuis il recherche la femme qui pourra le dominer. Wanda laisse entendre qu’elle pourrait être cette femme mais qu’il vivra des moments difficiles.

Après une interruption et des coups de téléphone rapides avec leurs fiancés respectifs, Thomas et Vanda reprennent. On s’aperçoit alors que cette dernière connaît le texte par cœur et qu’elle n’est pas si inculte qu’elle en a l’air. Elle a même lu le texte de Sacher-Masoch. Tous deux s’identifient de plus en plus à leurs personnages, Vanda prenant peu à peu l’ascendant sur celui qui est censé la diriger. Elle donne des idées de mise en scène, propose d’ajouter la scène initiale où Venus apparait nue dans sa fourrure, et se déshabille pour la jouer immédiatement. Ils improvisent la scène où le professeur se refuse à Venus offerte, et Thomas décide de l’intégrer dans son adaptation. Vanda prend alors une posture de psychanalyste pour brosser un portrait réaliste de la vie de Thomas avec sa fiancée.

Ils reprennent avec la scène de la deuxième rencontre dans le bois de bouleau. Vanda donne une interprétation féministe et Thomas commence à se rebeller contre la vision de la comédienne. Mais quand elle menace de partir, il se soumet et accepte de la supplier de rester. Ils jouent alors la scène où Wanda fait signer un contrat de soumission au professeur, lui passe son collier au cou, le fouette avec des branches de boulot et lui demande de l’aider à séduire un bel officier grec.

Lors d’une nouvelle interruption, Vanda raconte à Thomas qu’elle est une détective privée chargée par sa fiancée Marie-Cécile d’enquêter sur lui. Ils reprennent néanmoins la pièce, Thomas habillé en valet enfile ses bottes à Vanda. Elle lui ordonne d’appeler Marie-Cécile pour lui dire qu’il ne rentrera pas ce soir, et il s’exécute. Ils continuent à jouer, Thomas étant devenu l’esclave de Vanda.

Mais pour la scène finale où Wanda avoue son amour pour le professeur et veut être à son tour son esclave, les comédiens ont échangé leurs rôles, et c’est Thomas qui se retrouve attaché au grand cactus du décor pendant que Vanda le gifle en lui disant qu’elle refuse cette fin. Elle le laisse attaché pendant qu’elle danse autour de lui, nue dans sa fourrure.

Commentaires

La Vénus à la fourrure, adapté de la pièce de David Ives elle-même inspirée du roman de Leopold von Sacher-Masoch, est une œuvre marquante qui mêle le théâtre, le désir, et les dynamiques de pouvoir. Sous la direction de Polanski, le film devient une plongée fascinante dans les thématiques BDSM, analysées à travers un dialogue tendu entre les deux seuls personnages : Thomas (le metteur en scène) et Vanda (l’actrice).

La mise en scène du pouvoir : le BDSM repose souvent sur une dynamique explicite de pouvoir consensuel entre les participants. Au départ, Thomas semble contrôler la situation : il est l’auteur et le metteur en scène, tandis que Vanda, actrice apparemment maladroite et tardive, sollicite désespérément un rôle.

Cependant, dès que Vanda commence son audition, les rôles s’inversent progressivement. Elle devient la figure dominante, non seulement dans l’interprétation du texte, mais aussi dans leurs interactions hors du cadre de la pièce. Cela reflète un aspect clé du BDSM : le pouvoir peut être un jeu fluide et changeant, où le dominant et le soumis échangent continuellement leurs positions.

Le consentement implicite et explicite : bien que le film ne montre pas explicitement de contrat ou d’accord formalisé, Vanda manipule Thomas dans une sorte de danse psychologique où il accepte progressivement son rôle de soumis. Cette ambiguïté souligne une tension entre le consentement explicite (souvent discuté dans les pratiques BDSM) et les influences subtiles et inconscientes.

La réticence initiale de Thomas, suivie de sa soumission croissante, reflète une exploration de ses propres désirs refoulés. Ce processus pose des questions sur la nature du consentement lorsque des désirs inconscients sont en jeu.

La symbolique des accessoires : les accessoires jouent un rôle central dans le BDSM, et La Vénus à la fourrure les utilise pour accentuer les thèmes de la domination et de la soumission. Le collier, la cravache et les bottes que Vanda introduit dans leur mise en scène sont des objets emblématiques qui transforment l’espace théâtral en une arène érotique et rituelle.

Chaque accessoire devient un symbole de la relation de pouvoir. Le collier, par exemple, représente la soumission physique et psychologique, tandis que la cravache incarne une punition rituelle qui, dans le contexte BDSM, peut devenir un vecteur de plaisir.

L’érotisation du langage et de la psychologie : dans le film, le dialogue joue un rôle aussi important que les actions physiques. Le texte de la pièce dans la pièce (l’adaptation de Sacher-Masoch) est une exploration du désir masochiste, et son interprétation par Vanda devient une forme de domination intellectuelle. Chaque réplique est chargée d’une tension sexuelle implicite, mettant en lumière le pouvoir du langage pour exercer un contrôle.

De plus, la relation entre Thomas et Vanda reflète une tension psychologique complexe. Vanda, par son intelligence et son assurance, force Thomas à affronter ses propres fantasmes et à admettre ses failles. Cette confrontation psychologique, qui est souvent une composante du BDSM, met en lumière la manière dont les jeux de rôle peuvent servir de miroir pour explorer des désirs profonds.

La femme fatale et la réinvention du genre : Vanda incarne une figure archétypale de la femme fatale, mais elle transcende ce stéréotype en utilisant les codes du BDSM pour renverser les attentes genrées. Alors que Thomas, en tant qu’homme et auteur, pensait maîtriser le récit, Vanda s’empare de son œuvre pour en faire son propre terrain de jeu.

En devenant la dominante, Vanda réinvente la dynamique classique des relations hommes-femmes au cinéma et dans la littérature. Elle revendique une autonomie totale, déstabilisant Thomas et exposant sa vulnérabilité.

Enfin, le fait que Mathieu Amalric ressemble à Roman Polanski, et qu’Emmanuelle Seigner est l’épouse du réalisateur, ajoute une dimension autobiographique, autoportrait critique du metteur en scène et exploration de ses propres angoisses, et hommage à sa muse représentée en femme fatale.