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Le BDSM et la domination au Cinéma

Tokyo Decadence

Sortie : 1992

Présentation officielle / Extrait

Titre original : Topâzu
Réalisation : Ryû Murakami
Sortie : 1992

Synopsis

Ai (Miho Nikaido) est une escort girl spécialisée dans les relations sadomasochistes où elle joue le rôle de la soumise. En plein questionnement, elle cherche le soutien d’une diseuse de bonne aventure qui lui dicte trois conditions farfelues pour trouver le bonheur : mettre l’annuaire du téléphone sous sa télévision, ne jamais s’aventurer dans les quartiers Est de la ville et porter un bijou rose au doigt. Pour cette troisième condition elle se ruine chez un bijoutier.

Elle se rend ensuite chez un client tout en haut d’un hôtel de luxe : c’est unyakusa qui se fait appeler Satoh. Il lui demande de s’exhiber sur le rebord de lafenêtre en enlevant lentement sa culotte, puis lui introduit un vibromasseur. Il fait venir sa femme dans la chambre, fait l’amour avec elle en demandant à Ai de les lécher tous les deux. Il la renvoie avec un bon pourboire. Mais une fois dans la rue elle s’aperçoit qu’elle a oublié sa bague rose. Elle remonte mais personne ne lui ouvre.

Le lendemain, la patronne de son club l’envoie dans le même hôtel avec une autre fille : elle doit sucer l’homme pendant que sa « collègue » l’étrangle. Les deux jeunes femmes prennent peur quand le client semble sombrer dans le coma. Elles rassemblent leurs affaires mais au moment où elles sont prêtes à partir, il se réveille. Ai retourne alors dans la chambre de Satoh, tombe sur des grosses brutes qui la menacent et s’enfuit. Mais la porte s’ouvre et la femme et partenaire de jeune de Satoh ouvre la porte et lui rend la bague.

A la télévision, Ai voit un reportage sur son ancien amant, un artiste célèbre marié du nom de Sudo, et décide de le retrouver. Un client demande à faire semblant de l’étrangler et de la violer, mais elle refuse et s’en va. Elle accepte en revanche de prendre un masochiste. Elle s’aperçoit en arrivant qu’elle sera l’assistante d’une dominatrice, Maîtresse Saki. Celle-ci humilie son client, un habitué en faisant l’amour avec Ai, et en lui faisant boire l’urine de Ai. Puis elle le récompense en le sodomisant.

La dominatrice avec qui elle a accepté de faire une séance à trois se prend de sympathie pour elle, l’invite à dîner dans son appartement et lui donne une étrange drogue. Sous son influence Ai, va essayer de retrouver son ancien amant Sudo, mais quand elle arrive à destination elle titube et se conduit de façon irrationnelle au point que les gens finissent par prévenir la police. Cette dernière va pour l’appréhender mais une femme s’interpose : une autre ancienne maîtresse de Sudo, une chanteuse devenue un peu folle.

Commentaires

Tokyo Decadence, réalisé par Ryū Murakami, explore les thèmes de l’aliénation, de la solitude et de la quête de soi dans le contexte du monde du BDSM et de la prostitution de luxe au Japon.

Le film suit Ai, une jeune femme douce et naïve, qui travaille comme call-girl spécialisée dans des pratiques BDSM. Son regard sur ce monde est empreint de vulnérabilité, de curiosité, mais aussi de détachement émotionnel. Contrairement à des personnages féminins dominants ou puissants souvent associés au BDSM, Ai est soumise, à la fois dans son travail et dans sa vie personnelle, ce qui en fait une figure inhabituelle dans ce type de récits.

Le contraste entre sa douceur et les actes qu’elle accomplit met en lumière une tension entre son identité personnelle et l’identité qu’elle doit performer pour ses clients.

Tokyo Decadence présente le BDSM avec une approche à la fois réaliste et esthétique, mais souvent troublante. Certaines scènes montrent des jeux de domination explicites qui oscillent entre la mise en scène consensuelle et l’abus implicite.

Murakami ne glorifie pas ce milieu ; il en montre aussi la brutalité, la froideur et les limites, tout en soulignant la dissociation psychologique des personnages impliqués.

Cependant, la représentation est marquée par une ambiance mélancolique et désenchantée, ce qui distingue le film d’autres œuvres plus sensationnalistes.

Le film est aussi une critique sociale implicite du capitalisme et de la culture japonaise des années 1990. Les personnages que rencontre Ai sont souvent des figures de pouvoir (hommes riches, politiciens) qui utilisent le BDSM comme échappatoire à leur vide existentiel. Ai, en revanche, est aliénée de son propre corps et de son identité, cherchant un sens ou une connexion dans un monde où tout semble régi par des rapports de domination.

Une grande partie du film traite du désir humain de contrôle ou, à l’inverse, de l’abandon total. Dans le BDSM, ces désirs sont codifiés, ritualisés et consentis. Cependant, dans Tokyo Decadence, cette frontière devient floue, notamment dans des scènes où Ai est manipulée ou utilisée sans véritable respect pour son consentement intérieur. Cela reflète une vision sombre de la dynamique du pouvoir : le BDSM ici n’est pas tant une exploration consensuelle qu’un miroir de la hiérarchie sociale et des déséquilibres émotionnels.

Le film est rythmé par une lenteur qui accentue le malaise. Les scènes de domination sont souvent filmées avec une froideur clinique, mettant l’accent sur la solitude des personnages plutôt que sur l’excitation ou la sensualité. Le style visuel épuré, presque minimaliste, renforce l’impression de vide émotionnel et de distanciation. La musique et l’utilisation des espaces urbains, souvent froids et impersonnels, participent à cette atmosphère oppressante.

Le parcours d’Ai est une descente lente et inexorable. Elle est en quête d’amour et de validation, mais finit constamment rejetée et exploitée. Cette trajectoire tragique souligne l’inhumanité des systèmes de pouvoir et des relations transactionnelles. Le monde du BDSM dans le film n’est pas intrinsèquement mis en cause, mais il devient un véhicule pour exposer la fragilité émotionnelle et les déséquilibres sociaux.

Tokyo Decadence est un film troublant et introspectif, qui utilise le monde du BDSM comme toile de fond pour explorer des thèmes universels : la solitude, la quête d’identité et le besoin de connexion dans un monde aliéné. Contrairement à des films qui glorifient ou romantisent le BDSM, celui-ci en présente une version désenchantée, presque clinique, qui peut déconcerter.